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LES RENCONTRES DU LAÜ : « aux pensées à nourrir les paroles, aux paroles à vêtir les pensées »

En 2010 se tenait au Laü « l’art derrière les barbelés », une conférence-spectacle dédiée aux prisonniers du camp de Gurs qui portait déjà en elle les graines de ce qui deviendra 3 ans plus tard, « Les Rencontres du Laü ». Initiés en 2013, ces cycles de conférences et rendez-vous culturels annuels ont revêtu différentes formes et formats au fils de leurs éditions mais se sont toujours voulu autant qualitatifs, qu’accessibles à tous et participatifs. Miguel MANJON, chargé de développement au sein de notre M.J.C. et instigateur de cette initiative revient avec nous sur l’histoire de ces « rencontres », passant en revue le chemin intellectuel de leur maturation, leurs intentions et leur esprit, tout en se remémorant quelques souvenirs marquants de certaines d’entre elles.  

 

Entre l’art et la réflexion, mettre en forme la rencontre  

 C’est en partenariat avec de multiples associations locales que fût montée en 2010 la conférence spectacle « l’art derrière les barbelés ». Animé par des artistes musiciens, comédiens et Claude LAHARIE, un historien de l’UPPA spécialiste de la période, l’évènement était co-piloté par le Laü et Pantxoa ACHIARY un conseiller éducation populaire de la DDCS. « L’idée était de présenter le camp du Gurs, où furent enfermés des réfugiés espagnol fuyant le régime de Franco, à des publics jeunes (issus d’Accueils Collectifs de Mineurs), afin de les sensibiliser à l’Histoire en la sortant des manuels scolaires pour la rendre plus vivante, plus présente, explique Miguel Manjon. La soirée fût couronnée d’un beau succès, tant auprès des spectateurs que des intervenants et des organisateurs qui prirent un réel plaisir à travailler ensemble. Parallèlement à la construction de ce rendez-vous, j’étais alors en questionnement, avec la volonté d’amener le Laü vers des sujets de réflexion partagée, de faire de notre M.J.C un lieu de rencontre intellectuelle ouvert à tous. Même si cela ne prit pas immédiatement la forme de cycles de conférence, l’idée de réitérer ce type d’évènement s’imposa comme une évidence, avec en toile de fond initiale, la volonté d’amener les travailleurs de notre secteur socio culturel, nos collègues et partenaires institutionnels autour de thèmes choisis. » 

« L’année suivante fût marquée par une conférence portant sur la laïcité, l’un des principes forts animant notre structure, avec un intervenant de marque, Henri PENA RUIZ, qui a construit une grande partie de son parcours intellectuel et professionnel autour de cette notion. C’est aussi la première fois que le Laü invitait un conférencier « hors mur », qui ne fréquentait pas le Laü auparavant.  

C’est un colloque qui suivit la saison suivante. Intitulé « Sport et éducation populaire », il fût animé par plusieurs intervenants issus des milieux sportif et socio-culturel et prit la forme d’une journée conviviale où différents thèmes furent abordés en conférences ou tables rondes entrecoupées d’activités ludo-sportives. 

A la croisée des réflexions, regards et perspectives

En 2013 naissent donc les « Rencontres du Laü », fortes de ces expériences passées : une programmation annuelle de 4 conférences portant sur des sujets variés, en lien avec les enjeux de société du moment ou invitant à des réflexions plus intemporelles. Financés par les partenaires institutionnels du Laü, ces rendez-vous deviennent donc réguliers.

« L’idée de cette initiative, c’était d’abord de proposer des conférences aux couleurs de l’éducation populaire, c’est-à-dire à la fois qualitatives, accessibles à tous, et surtout pourvues d’une dimension participative, sous forme de débat, atelier ou autre. Nous voulions nous adresser à la fois aux personnes coutumières des rendez-vous culturels mais aussi aux publics ne fréquentant ordinairement pas les lieux de savoirs traditionnels, universitaires par exemple. Le simple fait de proposer ces conférences dans une M.J.C. comme le Laü, animée par des personnes de tous horizons sociaux et culturels répond en partie à cette intention première. Mais nous avons aussi essayé de travailler la forme même de nos évènements, avec la volonté de se démarquer des conférences et colloques classiques, de les « désacraliser » aux yeux des « profanes » en quelque sorte, tout comme l’image même du conférencier. C’est d’ailleurs de cette intention que vient le nom de « rencontres », mais pas seulement. Cela renvoie également à l’envie d’associer sur scène des intervenants issus des milieux artistiques et intellectuels. Je me souviens par exemple d’une rencontre traitant du « mieux vivre-ensemble » : le chanteur MOUSS du groupe ZEBDA et le philosophe Henri PENA-RUIZ partageaient la scène et instauraient un dialogue, entre eux ou avec le public, riche de cette diversité. De manière générale, nous avons d’ailleurs essayé de privilégier les binômes pour traiter d’un sujet, afin de croiser regards et perspectives provenant de champs d’étude ou d’expertise différents. Cela enrichit toujours une réflexion que de varier les points de vue.

Cet évènement illustre également un autre aspect important de notre démarche qui consiste à décliner nos sujets sur plusieurs temps afin de s’adresser spécifiquement à un public visé, en adaptant alors le propos dans sa forme. En l’occurrence, nous avions proposé aux publics scolaires de venir assister et surtout participer à cette « tchatche philo » ainsi que nous l’avions dénommée, avant d’inviter aussi le grand public. Une formule que nous avons déclinée dans plusieurs de nos rencontres, en allant à la rencontre de publics scolaires, ou en intervenant pédagogiquement en amont ou en aval de l’évènement proprement dit afin qu’ils participent à la réflexion proposée en l’ayant déjà considérée, enrichie de leurs propres réflexions, questions et convictions. Cela traduit également notre volonté d’inscrire ces rencontres dans la durée, de planter durablement des « graines de réflexion » dans les esprits du public afin que se prolongent les rencontres au-delà d’un rendez-vous donné.

« C’est aux pensées à nourrir les paroles, aux paroles à vêtir les pensées »

Ce proverbe oriental est devenu la « devise » des Rencontres et traduit poétiquement leur volonté d’inviter à nourrir la réflexion, en la partageant bien sûr et avec le plus large panel possible de personnes mais aussi en l’inscrivant dans le temps, en lui donnant une continuité comme évoqué plus haut. Ainsi les « conférences gesticulées » animées par Franck LEPAGE et d’autres intervenants de son association, ont été accompagnées de temps de formation et ateliers participatifs au cours desquels les participants remettaient en perspectives leurs regards, pensées et vérités sur des sujets de fond, comme la famille, le travail ou encore les droits sociaux. Décliner une réflexion dans sa forme et dans le temps lui confère forcément une épaisseur et une consistance pérenne et enrichie.

 

« Pour ce qui est du choix des sujets, nous n’avons pas toujours collé avec l’actualité mais plutôt avec des thématiques « ressenties » sur le terrain, c’est-à-dire émanant d’échanges avec le public de notre M.J.C. Les thèmes des rencontres émergeaient ainsi parfois de ces dialogues quotidiens. Parfois les gens ont besoin de parler de certains thèmes, de s’exprimer ou de confier leurs interrogations, c’est alors important de les écouter, c’est aussi ça l’éducation populaire. Je pense notamment à la récente rencontre animée par Gilles RAVEAUD autour d’une « autre économie » en pleine « crise » des gilets jaunes ou encore à « L’Islam des Lumières » animée par le regretté Antoine SFEIR, éminent chercheur politologue spécialisé dans l’histoire et la géopolitique du Moyen-Orient. Cette conférence fut d’ailleurs précurseure en son temps, elle date de 2015 et traduisait déjà une situation mondiale de plus en plus inquiétante autour de laquelle il était urgent de prendre le temps de s’interroger sereinement. L’évènement marqua d’ailleurs le premier temps de tout un cycle de conférence et intervention autour de ce sujet ainsi que d’un programme annexe de formation et de prévention aux processus de radicalisation sur lequel nous avons été « pionnier » en France et auxquels nous avons associé de nombreux partenaires culturels et institutionnels locaux. Une initiative aujourd’hui reconnue et saluée tant par leurs participants que par leurs financeurs publics.

Intitulée,  » où va l’islam en France ?  » cette rencontre a vu des sommités intellectuelles telles que Ghaleb BENCHEIKH, président de la Fondation de l’Islam de France, Tareq OUBROU, (recteur de la Grande Mosquée de Bordeaux) et Karim IFRAK (islamologue au CNRS) partager la scène avec des associations et institutions locales comme la mosquée de Pau, autour d’un public très hétéroclite, multiconfessionnel. Un moment riche en échanges. Plus récemment Monsieur HAFIDI est revenu pour animer une rencontre autour de la spiritualité aujourd’hui en république, un évènement où une grande partie du public était de confession musulmane et où les questions ont fusé. Apporter des réponses ou des pistes de réflexions à des personnes porteuses d’interrogations sincères, parfois occultés par les débats médiatisés, c’est un indicateur de réussite selon moi.

Des rencontres… humaines avant tout

Je pense que les rencontres sont d’abord et avant tout humaines, c’est le souvenir que je garde de cette aventure. Des rencontres qui m’ont nourri personnellement et professionnellement et qui donnent vraiment du sens à notre action d’éducation populaire au sein du Laü : développer l’esprit critique et par extension le pouvoir d’agir des individus. Les rencontres ont toujours transpiré d’humanisme dans mes souvenirs, même dans les sujets les plus sombres, comme par exemple notre colloque autour de la prison, animé par Karim MOKHTARI ancien détenu et militant associatif et Jean-Michel QUILLARDET avocat. Lors d’intervention dans leur classe, en amont de l’évènement, je me souviens également avoir vu des collégiens à l’avis très tranché, en faveur de la peine de mort par exemple, voir leur opinion évoluer suite à cette rencontre, avec des certitudes remises en perspective.

Les rencontres ont évolué dans leur forme au fil de leurs éditions en fonction du sens de l’action générale du Laü elle-même mouvante. Aujourd’hui, en dehors du contexte sanitaire, il nous faut poursuivre ce questionnement et cette mise en perspective pour trouver demain de nouveaux formats pour ces rencontres, à même de répondre à ses objectifs qui eux restent les mêmes.

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