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« GAMEUSES ET HÉROÏNES », retour sur notre vidéo conférence dédiée aux femmes dans les jeux vidéo

Dès la semaine prochaine, nous aurons le plaisir de mettre en ligne l’intégralité de cette vidéo conférence animée par la sociologue chercheuse Jessica SOLER-BENNONIE. En attendant, nous vous proposons un petit retour écrit des propos qui y furent tenus.

Enseignante et chercheuse à Albi, Jessica SOLER-BENNONIE a consacré sa thèse de sociologie à l’étude des jeux vidéo et à la place des femmes au sein de ce jeune media. Si les recherches universitaires sur les formes d’expressions de ce « jeune » média, son histoire, ses usages ou encore les représentations que s’en font les différents publics sont déjà nombreuses, la question des femmes en son sein, que l’on parle de joueuses, professionnelles de l’industrie ou encore héroïnes au sein d’œuvres vidéoludiques restait, quant à elle, en friche, du moins jusqu’à ce que Jessica n’en fasse l’objet de son travail.

 

Les représentations communes et les stéréotypes ont la vie dure et c’est d’autant plus vrai lorsqu’on parle de jeux vidéo ! Bien que son industrie dépasse largement celle du cinéma aujourd’hui, le media pâtit de nombreux a priori à son égard et se retrouve souvent accusé de tous les maux de la terre, notamment par des « experts » dont Jessica nous rappelle qu’ils sont rarement joueurs eux-mêmes. « Ce que l’on remarque lorsqu’on interroge les gens sur les jeux vidéo, c’est que les avis sont extrêmement polarisés, à l’image d’une pile avec un « + » et un « -« , et très rarement dans la mesure. Côté « + » on retrouve l’idée d’apprentissage par le media, vecteur de concentration, d’acuité visuelle, de réflexe ou plus généralement de familiarisation avec tout ce qui touche à l’informatique, mais c’est presque exclusivement le côté « – » qui se retrouve sous les projecteurs, surreprésenté, notamment dans les media « généralistes ». Un simple divertissement qui ne saurait proposer autre chose que des futilités et encore moins prétendre à une quelconque dimension artistique ou créative, un media qui rendrait violent, source d’addiction, souvent mis au même plan en terme de dangerosité, que le tabac ou les drogues et en fin, un domaine réservé aux hommes, les femmes n’y ayant pas leur place. Autant d’idée reçues dont Jessica a souligné l’aspect fallacieux, ainsi que vous pourrez le constater en regardant sa conférence.

Alors même qu’un joueur sur deux est aujourd’hui une joueuse, force est de constater que dans l’esprit de la majorité, les jeux vidéo restent un media dédié aux hommes et plus particulièrement aux ados. Or la moyenne d’âge des joueurs, en France et dans le monde est aujourd’hui de 40 ans. Qu’on s’y adonne sur son téléphone, ordinateur ou console de jeux, cette pratique est aujourd’hui largement démocratisée. Qui n’a jamais lancé une partie de « Solitaire » sur son ordinateur? Jessica nous rappelle d’ailleurs qu’il s’agit là du jeu vidéo le plus populaire au monde, devant les Mario, Tétris ou encore « Fortnite » (un jeu, récemment qualifié de « terrible » par Brigitte Macron, rassemblant des centaines de millions d’usagers aujourd’hui, qu’il vous est impossible de ne pas connaître si vous avez de jeunes enfants). Quant à la question des femmes, là encore, on ne peut que déplorer le fossé séparant la réalité de sa représentation : un joueur sur deux est une joueuse. Alors d’où vient cette idée d’un média exclusivement masculin ?

« C’est dans les grandes universités scientifiques américaines que sont nés les premiers embryons de ce media, au milieu des années 60, créés par des étudiants qui ont détournés les outils de leurs laboratoires (en l’occurrence l’oscilloscope). Une origine qui n’est pas sans rappeler celle du cinéma d’ailleurs, lui aussi né de détournement d’instruments scientifiques. Or qui avait accès à ces lieux de savoirs à l’époque? Certainement pas les femmes, vu que la démocratisation de l’enseignement supérieur restait inexistante alors. Raison pour laquelle l’industrie est largement dominée par les hommes, pensé par et pour eux. Aujourd’hui encore, les femmes dans l’industrie restent rares et toutes décrivent un parcours professionnel semé d’embûches où elles ont dû redoubler d’efforts et de talent pour s’imposer.

Si l’on se penche sur les œuvres vidéoludiques en elles-mêmes, là encore le constat est malheureusement alarmant. Sources à l’appui, la chercheuse met en lumière le nombre incroyable de jeux où les femmes tiennent le rôle de prisonnière à libérer, protéger ou escorter par l’avatar, masculin évidemment, incarné par le joueur. Et que dire des jeux « pensés pour les petites filles » où se retrouvaient à peu près tous les clichés sexistes existants? Une tendance que l’on peut fort heureusement relativiser avec les œuvres plus récentes où le héros principal est une femme, tordant ainsi le coup à l’idée qu’une héroïne principale n’est pas « bankable ». The last of us part II, Horizon Zéro down, la dernière trilogie Tomb Raider, Control etc.. ce ne sont là que quelques exemples de Blockbuster au succès critique et commercial retentissant ! Non content de mettre en scène des femmes indépendantes, fortes et courageuses, ces œuvres se dotent d’une très forte dimension artistique, amenant aux joueur émotions, réflexion au sein d’une narration de haute volée.

Enfin pour ce qui est des joueuses, qui représentent 50% des joueurs, là encore des progrès restent à faire. La misogynie est malheureusement chose courante au sein des communautés de joueurs, notamment pour ce qui est du jeu en ligne, où les joueuses sont régulièrement la cible d’agression verbale, préjugés et autres comportement navrant. Mais n’est-ce pas là le reflet d’une société où d’énormes progrès restent à faire sur cette question ?

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