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« Mémoire de fille » : le théâtre pour libérer la parole

Le 15 mars dernier, le Laü recevait la troupe de théâtre des « Les pieds dans l’eau », pour la représentation de leur pièce « Mémoire de fille », librement adaptée du roman éponyme d’Annie Ernaud (récemment récompensé du prix Nobel de littérature). Destiné à un public mixte, composé d’adolescents fréquentant la M.J.C du LAÜ et d’autres structures d’accueil accompagnés de leurs animateurs, cette représentation s’inscrivait au sein d’une initiative plus large, étalée sur plusieurs temps.

Pensée pour libérer la parole de ses publics au sujet du consentement, cette action s’est construite au fil de différents ateliers, constituant autant de portes pour aborder et mettre en réflexion la thématique et les nombreux tabous ou a priori l’accompagnant. Atelier de lecture et d’improvisation théâtrale destinés aux adultes ou atelier d’écriture/slam à l’attention des adolescents, autant de façons de prolonger l’expérience vécue et les émotions ressenties afin d’assoir durablement une réflexion partagée.

Une initiative plurielle

« L’aspect le plus important de ce programme, consistait avant tout à libérer la parole, briser les tabous attenants au consentement. Des tabous profondément ancrés dans les esprits par des siècles de non-dits, d’une culture parfois aliénante, comme autant d’injonctions tacites adressée aux femmes, et quelque part aussi aux hommes » explique Anne-Lise Blin, administratrice chargée de production pour le théâtre (aide à la création, au financement et à la représentation) et coordinatrice de cette initiative mise en place au Laü avec Mélanie, animatrice de notre foyer des ados.

Anne lise a ainsi répondu à une demande des collectivité territoriales pour travailler sur ces thématiques. Un programme d’action imaginé et construit après avoir aidé la compagnie des pieds des l’eau à mettre en œuvre leur création : « mémoire de fille ».

Libérer la parole, mais aussi regrouper jeunes et animateurs autour d’une même réflexion pour mieux la mettre en partage, à travers cette rencontre trans générationnelle.

 « On mesure au quotidien la persistance et le poids de ces non-dits comme en témoignent d’ailleurs les réactions des publics, lorsqu’on aborde d’une façon ou d’une autre les thèmes de la sexualité, des rapports garçons-filles, des agressions et du consentement, précise Anne, autant d’éléments qui soulignent l’importance d’amener le sujet sur la table ». Cela reste en effet un sujet difficile à aborder avec nos jeunes au quotidien, constate Mélanie, on le voit à travers les silences des filles ou les questions un peu provoquantes des garçons, des réactions différentes pour un même « malaise » à l’idée d’en parler, même dans le cadre des ateliers. Au final, les réactions et prises de paroles ont été aussi nombreuses que précieuses, les langues se sont délies parfois sur le partage d’expérience traumatisantes, ou de témoignages chargés en émotion, mais aussi sous formes de questions ou de partage d’opinion.

Des Ateliers complémentaires de la représentation de la pièce, élément central du dispositif.

 

Du roman au théâtre

 

Monté à partir d’un extrait de 20 pages du roman d’Annie qui en compte 150, la pièce s’attache à traduire théâtralement l’intention artistique de l’auteure, le cœur de son propos, notamment par une mise en scène qui met en forme le dédoublement narratif du personnage principal, qui n’est autre que l’auteure elle-même, la narratrice.

Autobiographique, « mémoire de fille » nous donne à lire le plongeon introspectif de l’auteure au sein d’une mémoire refoulée, Un traumatisme enfoui tout au long de sa vie, qu’elle exhume de son passé par l’écriture dans un geste aussi créatif que salvateur.

« Notre pièce a été montée à partir d’un passage central du roman, où l’auteure relate l’expérience traumatisante de sa première nuit avec un homme, alors âgée de 18 ans et ne connaissant rien de la sexualité (elle quitte son foyer en campagne pour aller travailler au sein d’une colonie, où elle rencontre d’autres jeunes) faisant ressurgir la douloureuse et vive mémoire de ce qui pourrait s’apparenter à un viol. Un souvenir enfoui tout au long de sa vie, qu’elle déterre ici par l’écriture, âgée de 80 ans, pour enfin la regarder, ou plutôt retourner à la rencontre de « cette fille » qu’elle a été, dont elle évoque la présence à la troisième personne » : « elle », à travers un dédoublement du narrateur à même de mettre en expression la perte irréversible d’une innocence, explique Violette Campo, actrice et metteuse en scène de cette adaptation théâtrale. Cette expérience traumatisante marque une rupture fondamentale, qui s’avèrera déterminante tout au long de la vie de l’auteure, une profonde cicatrice sur sa psyché.

Sur scène, ce dédoublement de la narratrice se traduit par la présence de deux actrices sur scènes, Violette qui joue l’Annie Ernaud qui écrit et Lisa Garcia, sa fille, qui incarne ici l’Annie du récit, de 18 ans, une  familière inconnue dont on suit l’histoire. « Tout comme l’auteure, nous regardons « cette fille » à la fois dans son altérité, comme une autre que nous, mais aussi dans son ipséité, comme un reflet nous renvoyant à notre Humanité, notre empathie.

« je suis tombée sur ce texte qui m’a d’emblée saisie, notamment par son titre : « Mémoire de fille » et non « mémoire d’une fille » une tournure qui confère une portée universelle à ce récit, alors même qu’il s’articule autour de la narration à la première personne d’une expérience aussi intime que traumatisante. C’est un « je collectif » dans lequel peuvent s’incarner l’ensemble des filles. Cela touche au conditionnement culturel qui pèse sur les femmes, de ce qu’on leur demande d’être, du poids de ces injonctions non dites. Cette distance prise avec le jeune Annie, nous permet de la voir pleinement, de comprendre cette fille qui nous interroge à travers l’universalité de sa condition, pour mieux comprendre les mécanismes à l’œuvre dans cette expérience vécue et au-delà, dans toutes celles qui lui ressemblent.

Un grand miroir se dresse au milieu des décors de la pièce, comme une porte nous renvoyant notre propre regards, perçant au travers des émotions et des questions sans réponses qui parsèment cette histoire.

Par l’émotion, la réflexion.

Parallèlement à la représentation de mémoire de Fille, étaient proposés des ateliers créatifs aux adolescents et à leurs animateurs. Écriture de textes sur le thème du consentement, lecture partagée du passage du roman mis en scène dans la pièce ou encore improvisation théâtrale sur des situations de domination du quotidien , autant de portes ouverte pour aborder la réflexion sur le consentement.

 

Venant d’un milieu ouvrier, j’ai toujours eu à cœur de partager mon amour du théâtre et de la littérature  avec le plus grand nombre et ceci en passant avant out par l’émotion et non l’intellectualisation, car tout ce qui est ressenti est aussi compris, explique Violette. Le théâtre a ceci de magique qu’il repose avant tout sur cette mécanique, ce qui le rend universel : on est transposé dans le corps des autres, dans l’émotion qu’ils vivent sur le moment. Même les gens qui ne parlent pas français peuvent ainsi ressentir et comprendre l’objet d’une lecture, d’un personnage, d’une mise en scène.

A travers les ateliers, on reçoit la lecture de l’autre, on passe par les émotions ressenties pour transcender une idée et par le biais du jeu nous partageons les émotions. …

Il en va de même pour les ateliers d’écriture Slam. Encadré par une artistes de la discipline, les adolescents ont tous écrit un texte pour y coucher leurs regards sur la pièce et ses questions. Un exutoire dont on pouvait mesurer la nécessité à la chargé émotionnelle dégagée ces textes et ces lectures.   

« j’aime quand le théâtre parle de la réalité, confie Anne lise, qu’il nous sert à la regarder vraiment. Un miroir parfois si vrai qu’il nous touche au plus profond, saisit le public dans son intimité. A l’image de l’auteur du livre, Annie Ernaud, cela crée une distance qui nous permet à nous, public, de sortir de notre vécu, notre intimité pour mieux voir cette réalité, telle qu’elle est, pas telle qu’on la raconte.

Ce spectacle « tout public » sera rejoué le vendredi 17mars à 20h00 au Laü.

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