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ASSOCIATION, ÉDUCATION POPULAIRE ET CITOYENNETÉ

A l’occasion d’une consultation de nos archives vidéo, nous sommes par hasard tombés sur une interview d’André LABARRERE (datant du tout début des années 2000), menée par d’anciens jeunes de notre foyer au Laü. Interrogé sur la notion de citoyenneté, ce dernier se référait à un article de la presse nationale, qui avait essayé d’établir un palmarès des villes les plus citoyennes de France. La citoyenneté, une notion qu’il apparait a priori difficile de mesurer ou d’évaluer en toute objectivité mais dont on peut reconnaître certains des caractères ou expressions. L’enquête évoquée plus haut se fondait sur 3 critères : le taux d’abstention aux votes, le vote aux extrêmes et en particulier à l’extrême droite et le tissu associatif de la ville en question (en proportion du nombre d’habitants). Au sein de ce palmarès, Pau finissait sur le podium, notamment grâce aux nombreuses associations qui y sont actives.

Bien qu’il ne soit en rien exclusif à notre région, Pau peut se targuer d’arborer un tissu associatif dense, et avec lui d’une forte culture locale pour l’éducation populaire. S’il n’est pas facile de définir les contours précis d’un concept comme l’éducation populaire au vu des nombreuses formes qu’on pris les mouvements qui s’en revendiquaient, on peut toutefois s’accorder sur les finalités des structures adoptant ses préceptes clefs, notamment le faire/construire ensemble, sur un modèle. Du bénévolat au militantisme, l’émancipation des consciences individuelles, par le partage d’un projet de groupe et la construction d’actions communes, constitue déjà en soi une porte solide vers l’exercice citoyen.

Nous sommes allés à la rencontre de deux travailleurs locaux, qui ont axé leur carrière autour de l’éducation populaire. Ils nous offrent ici, à travers leurs expériences, un regard à l’échelle locale, sur ces liens entre associations, projets partagés et citoyenneté.

Après avoir été animateur au sein d’un foyer pour jeunes sur le quartier Berlioz, Jacques DURAN a passé la majeure partie de sa carrière au sein de Jeunesse et Sport. Son travail consistait à examiner les projets des associations (à travers leurs statuts et projets éducatifs) afin de les aider à comprendre et rester sur des dynamiques d’Éducation Populaire. Mathieu LAUTIER quant à lui est le directeur de la M.J.C. du Laü. Il a récemment entamé une longue démarche pour définir le projet associatif global de notre structure, un travail collectif regroupant la pluralité des acteurs et projets du Laü.

Tous deux s’attardent ici sur les rapports entre dynamique collective, projet associatif partagé et finalités d’éducation populaire.

Jacques DURAND : « pour comprendre comment marche un système, il faut examiner son moteur. »

« L’éducation populaire n’est pas chose aisée à définir, et beaucoup s’y sont cassés les dents. Contrairement à beaucoup de croyances populaires, ce n’est pas une éducation réservée au « petit peuple », ou pire, une éducation au rabais, bien au contraire, elle est très exigeante en cela qu’elle repose sur des dynamiques collectives, ce qui, par essence prend du temps à mettre en place (à l’inverse de modèles fondés sur un pouvoir décisionnaire individuel).

C’est une éducation « hors les murs », non institutionnalisée. En résumé, elle repose sur ce que les gens en font, c’est une sorte d’auberge espagnole, on y trouve ce qu’on y apporte. Un projet d’éducation populaire est, par essence issu d’un collectif, des citoyens regroupés autour d’une envie de faire et de créer ensemble. C’est ensuite une dynamique, qui se doit de refléter ce pluralisme en se fondant sur des processus de démocratie participative établis et concrets.

Cette composante est primordiale. Et c’est le projet associatif qui la mettra en forme et sera le garant de cet esprit. Si je prends la métaphore d’une voiture à propos d’une association, on peut dire que le projet associatif, constitue son moteur. S’il a été bien pensé et construit collectivement, il sera le garant de cette dynamique partagée et des objectifs de l’association, du sens de son action, de son identité.

Tout l’objet de ma carrière au sein de Jeunesse et Sport, où je m’occupais de délivrer les agréments d’éducation populaire aux associations qui le demandaient, reposait sur cet accompagnement des collectifs de personnes désireuses de progresser ensemble vers la réalisation d’un projet qui fasse sens pour eux et pour l’Éducation Populaire. Agir sur le moteur donc, à partir duquel tout le reste découle. C’est la construction de ce projet qui confère aussi l’identité d’un collectif, une identité qui elle-même se construit donc et reflète le travail et l’esprit de ceux qui l’ont mise en œuvre.

Les structures d’Éducation Populaire ont besoin de subventions pour fonctionner. Si je prends les services offerts au sein de la « fabrique d’initiatives citoyennes », ils ont un coût, et la structure ne dégage aucun bénéfice.

L’un des problèmes majeurs aujourd’hui repose sur l’évaluation des actions de toutes ces structures, pour la plupart petites, issus des mouvements d’Éducation Populaire. Les financeurs peuvent avoir du mal à bien les évaluer. Quand on est animateur, on se préoccupe avant tout de bien réaliser une action, pas de communiquer dessus, car on n’a tout simplement pas le temps, et on perçoit ça comme une perte d’énergie. Or la communication prend une place de plus en plus stratégique et importante pour les assos, car sa qualité est directement indexée aux subventions octroyées. C’est un problème, mais il faut apprendre à composer avec.

Le problème entre acteurs associatifs et financeurs repose sur le contrôle. Quand on finance on veut pouvoir influer sur les décisions, on demande un fléchage précis des actions et des comptes rendus de toutes les dépenses investies. Mais, quand bien même on est en droit en tant que financeurs d’avoir un compte rendu de l’activité et des projets de l’association, on n’a pas droit de contrôle. Subventionner un projet associatif c’est d’abord reconnaître son utilité au sein de l’espace public, raison pour laquelle le projet associatif se doit d’être bien construit et pensé. Mais le rôle des financeurs publics s’arrête là. Une fois que l’on a reconnu le bien fondé d’un projet, et c’est là tout le travail des subventionneurs, on se doit de faire confiance aux personnes qui le portent et le font vivre au quotidien, bénévolement pour la plupart, sinon on tue dans l’œuf ce projet.

Au début de ma carrière, j’étais animateur au sein d’un foyer de quartier, à Berlioz, alors directement lié aux services de la ville. André LABARRERE nous avait demandé de « dé-municipaliser » ce foyer, de devenir indépendant, c’est comme ça que je me suis intéressé à la rédaction des statuts, de la portée et du sens de cette réalisation et que j’en ai fait mon travail, car c’est passionnant. Et pour en revenir à la première question, sur le rapport entre éducation populaire et citoyenneté, je pense que c’est en effet lié. Vous en connaissez beaucoup vous des maires qui démunicipalisent leurs services ?

D’ordinaire c’est le mouvement inverse, on municipalise les services, cela permet de les contrôler directement, à la fois dans leur finance et leur projet. Démunicipaliser c’est prendre le risque de voir un discours dissident apparaître. Mais c’est André LABARRERE qui avait tout compris, sur cet aspect du moins. Économiquement parlant, en premier lieu, cela permet de faire appel à des bénévoles, pour faire un travail qu’ils auront, par nature, à cœur. Mais surtout, cela développe des entités collectives extrêmement dynamiques et grandement impliquées dans leurs objectifs, puisque cela repose avant tout sur de l’envie, des convictions. S’y développeront forcément des savoir-faire, qui se transmettent. Municipaliser une association et vous perdrez tout le substrat bénévole.

Cela dit, je reviens sur mes propos liminaires : une association c’est avant tout un collectif, et un projet, intelligemment construit (démocratiquement donc, ce qui prend du temps) et écrit. C’est lui qui permettra aux financeurs d’évaluer le plus justement possible l’intérêt que représente ce projet dans l’espace public. Et c’est en effet un formidable vecteur de citoyenneté. »

Mathieu LAUTIER, directeur du Laü, nous parle quant à lui du projet associatif du Laü, des propos qui font ici échos à ceux de Jacques DURAND.

« On parle de mouvements (au pluriel) d’Éducation Populaire, un pluriel qui traduit les différentes formes et définitions qu’ils peuvent recouvrir. Plusieurs mouvements « originels » donc, et aujourd’hui des héritiers de ces mouvements.

L’Éducation Populaire, c’est d’abord un processus. Il peut y avoir des structures qui pour partie de leur action sont dans une dynamique d’Éducation Populaire et pour le reste être dans l’animation seule. Le projet du Laü se donne à voir, globalement sous ces deux aspects, à savoir la transformation sociale si modeste soit-elle et l’animation, comme émancipation collective des consciences, en opposition avec les discours et processus sociaux dominants. L’Éducation Populaire se définit avant tout, comme une construction collective, une synergie active.

Par exemple, nous sommes en train de restructurer notre projet associatif. La demande repose à la base sur la création d’un « simple » outil de gestion, permettant l’évaluation objective des finances, de façon « technocratique ». Mais, en suivant les principes de l’Éducation Populaire, nous ajoutons à cette demande de création d’un outil de référence, deux dimensions, à travers lesquelles nous nous définissons, comme collectif d’Éducation Populaire.

La première repose sur la démarche elle-même, une démarche interne de dynamique collective, mobilisant tous les représentants des entités et projets singuliers évoluant à l’intérieur de notre maison pour affirmer le Laü comme un acteur collectif à part entière. Dans une entité par essence plurielle comme la nôtre, cela se traduit par un processus long et complexe mais c’est précisément cet exercice qui confère le sens de son action à notre structure, et lui permet de s’affirmer comme acteur, aux couleurs de l’Éducation Populaire.

La seconde dimension est directement liée au résultat de cette démarche, à savoir une légitimité à être reconnu dans l’espace institutionnel où se jouent des décisions touchant nos champs (la jeunesse et la culture au sens large). On s’octroie cette reconnaissance par notre démarche et demandons en retour une reconnaissance de notre forme d’expertise sur notre territoire. »

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