{"id":1785,"date":"2020-06-09T11:02:02","date_gmt":"2020-06-09T09:02:02","guid":{"rendered":"http:\/\/www.mjcdulau.fr\/?p=1785"},"modified":"2020-06-09T11:02:02","modified_gmt":"2020-06-09T09:02:02","slug":"le-capitalisme-peut-il-sortir-renforce-par-la-crise-sanitaire-dapres-christian-maurel","status":"publish","type":"post","link":"https:\/\/www.mjcdulau.fr\/2020-06\/le-capitalisme-peut-il-sortir-renforce-par-la-crise-sanitaire-dapres-christian-maurel\/","title":{"rendered":"LE CAPITALISME PEUT-IL SORTIR RENFORCE PAR LA CRISE SANITAIRE ? D’apr\u00e8s Christian MAUREL"},"content":{"rendered":"

En raison d’un \u00e9tat de sant\u00e9 qui m’expose bien plus que la moyenne des fran\u00e7ais aux ravages du coronavirus, je n’ai quasiment pas mis le nez dehors depuis les \u00e9lections municipales. Comme le dit Descartes au tout d\u00e9but de la deuxi\u00e8me partie de son Discours de la m\u00e9thode, je suis rest\u00e9 \u00ab tout le jour enferm\u00e9 seul dans un po\u00eale o\u00f9 j\u2019avais tout le loisir de m’entretenir de mes pens\u00e9es \u00bb. Ce confinement total m’a permis de me consacrer presque enti\u00e8rement \u00e0 un \u00e9crit qui traite de l’urgente n\u00e9cessit\u00e9 d’une bifurcation radicale de l’Histoire, si nous ne voulons pas sombrer dans la barbarie. Convaincu que cette bifurcation est bien plus salutaire que des r\u00e9volutions toujours sujettes \u00e0 des d\u00e9rives ou \u00e0 des contre-r\u00e9volutions, et que, de plus, elle est \u00e0 la fois possible, n\u00e9cessaire et engag\u00e9e de longue date \u2013 vraisemblablement depuis les \u00e9crits et les exp\u00e9riences des \u00a0\u00bbsocialistes utopiques\u00a0\u00bb du d\u00e9but du 19\u00e8me<\/sup> si\u00e8cle \u2013\u00a0 je me pose en m\u00eame temps la question de savoir si, comme pour les autres crises, le capitalisme ne va pas sortir renforc\u00e9 de la crise sanitaire que nous vivons actuellement et dont il porte une grande responsabilit\u00e9, tant dans son \u00e9mergence que dans son d\u00e9veloppement et dans la difficult\u00e9 des \u00c9tats \u00e0 en venir \u00e0 bout.<\/p>\n

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Tout, ou presque, plaide contre le capitalisme dans sa forme n\u00e9olib\u00e9rale actuelle. Les raisons d’en sortir n’ont jamais \u00e9t\u00e9 aussi criantes et la pand\u00e9mie en a r\u00e9v\u00e9l\u00e9 l’acuit\u00e9 : d\u00e9r\u00e8glement climatique, d\u00e9gradation des \u00e9cosyst\u00e8mes et \u00e9puisement de notre plan\u00e8te, red\u00e9ploiement des in\u00e9galit\u00e9s et concentration des richesses dans les mains d’une petite minorit\u00e9 d\u2019oligarques, utilisation juteuse et quelques fois crapuleuse des d\u00e9couvertes scientifiques et des innovations technologiques alors qu’elles devraient rester notre bien commun notamment dans le domaine de la sant\u00e9, mont\u00e9e en puissance d’une soci\u00e9t\u00e9 de la surveillance et de dictatures num\u00e9riques totalitaires, discr\u00e9dit de notre d\u00e9mocratie repr\u00e9sentative d\u00e9l\u00e9gataire,\u00a0 marchandisation des individus et\u00a0 d’un monde\u00a0 selon le principe\u00a0 intangible de la concurrence, d\u00e9litement de notre imaginaire social des Droits de l’Homme\u00a0 au profit d’une d\u00e9shumanisation barbare…. J\u2019arr\u00eate l\u00e0 l’\u00e9num\u00e9ration. La liste des raisons de changer les choses serait bien plus longue…<\/p>\n

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Le \u00a0\u00bbjour d\u2019apr\u00e8s\u00a0\u00bb ne doit pas \u00eatre comme le jour d’avant la crise sanitaire, disent certains. Mais qui le dit et qu’est-ce-qui ne doit pas \u00eatre comme avant ? S’agit-il des possibilit\u00e9s de faire face \u00e0 de nouvelles pand\u00e9mies \u2013 ce qui serait, il faut en convenir, un progr\u00e8s, tant ce que subissent de nombreux habitants de la plan\u00e8te est inacceptable et insoutenable ? Ou bien veut-on parler d’un changement r\u00e9fl\u00e9chi et radical de direction, de la construction d’un monde nouveau qui renverrait d\u00e9finitivement au pass\u00e9 celui qui conduit notre esp\u00e8ce \u00e0 sa perte, quelque chose comme une \u0153uvre collective de civilisation qui d\u00e9tr\u00f4nerait \u00e0 jamais le dieu-argent et mettrait enfin l’Homme au centre de l’humanit\u00e9 ?\u00a0<\/p>\n

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De nombreuses questions fondamentales sont pos\u00e9es souvent assorties de propositions. Mais qui s’en fait l’\u00e9cho ? Rarement les grands m\u00e9dias audiovisuels qui ne voient et ne vont pas au-del\u00e0 de la quotidiennet\u00e9 de la crise et de la mani\u00e8re dont les populations la vivent et doivent se comporter pour y faire face. Si bien que les contributions, y compris les plus pertinentes, circulent et se r\u00e9pondent dans un milieu relativement ferm\u00e9 o\u00f9 elles font sens et peuvent donner lieu \u00e0 d\u00e9bat. Une in\u00e9galit\u00e9 de plus, celle des diff\u00e9rents niveaux de langages et de l’accession \u00e0 des outils de compr\u00e9hension d’une situation in\u00e9dite dans un monde complexe. Et pourtant, comment ne pas \u00eatre sensible (et permettre \u00e0 chacun de partager cette m\u00eame sensibilit\u00e9) aux questions soulev\u00e9es par Edgar Morin (Le Monde dat\u00e9 du 20-4-20) : \u00ab La sortie du confinement sera-t-elle commencement de sortie de la m\u00e9ga-crise ou son aggravation ? Quel sera l’avenir de la mondialisation ? Le n\u00e9olib\u00e9ralisme \u00e9branl\u00e9 reprendra-t-il les commandes ? Y aura-t-il un \u00e9lan international salvateur de coop\u00e9ration ? Les pratiques solidaires innombrables et dispers\u00e9es d’avant l’\u00e9pid\u00e9mie s’en trouveront-elles amplifi\u00e9es ? Les d\u00e9confin\u00e9s reprendront-ils le cycle chronom\u00e9tr\u00e9, acc\u00e9l\u00e9r\u00e9, \u00e9go\u00efste, consum\u00e9riste ? …\u00bb. Et comment ne pas entendre l’inqui\u00e9tude qu’il exprime dans le m\u00eame entretien : \u00ab nous pouvons craindre fortement la r\u00e9gression g\u00e9n\u00e9ralis\u00e9e qui s’effectuait d\u00e9j\u00e0 au cours des vingt premi\u00e8res ann\u00e9es de ce si\u00e8cle (crise de la d\u00e9mocratie, corruption et d\u00e9magogie triomphante, r\u00e9gimes n\u00e9o-autoritaires, pouss\u00e9es nationalistes, x\u00e9nophobes, racistes) \u00bb.<\/p>\n

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Le m\u00eame jour et dans le m\u00eame quotidien (Le Monde) Dominique M\u00e9da consid\u00e8re que la crise sanitaire doit conduire \u00e0 ce qu’elle nomme \u00ab Pr\u00e9lude \u00e0 la reconversion \u00e9cologique \u00bb (titre de sa tribune) : \u00ab C’est bien d\u00e8s aujourd’hui qu’il nous faut engager la bataille pour \u00e9viter le retour du \u00a0\u00bbbusiness usual\u00a0\u00bb, et que pour que l\u2019\u00e9v\u00e9nement que nous sommes en train de vivre soit compris non pas comme une catastrophe naturelle dont il faudrait juste savoir \u00e9viter le retour \u2013 par exemple en \u00e9rigeant partout des murs et des fronti\u00e8res \u2013 mais comme un coup de semonce exigeant une bifurcation radicale \u00bb. Et si une \u00a0\u00bbbifurcation radicale\u00a0\u00bb \u2013 concept que je partage avec quelques diff\u00e9rences de compr\u00e9hension et de mise en pratique – s’impose, c’est bien parce que il n’est plus possible de rester dans le train conduit par ceux qui ont fait le choix de l’affairisme lucratif que permet le syst\u00e8me. Alain Bertho (M\u00e9diapart, blog du 5-5-2020) appelle \u00e0 passer de la \u00ab r\u00e9silience \u00e0 la r\u00e9sistance \u00bb. Pour lui, \u00ab la catastrophe qui commence n’est pas une incons\u00e9quence collective ou un effet d’aveuglement des pouvoirs. [elle] ne provient pas de l’ignorance ou du climato-scepticisme de quelques-uns. Cette catastrophe mat\u00e9rielle est devenue un des ressorts du capitalisme contemporain qui s’est financiaris\u00e9, num\u00e9ris\u00e9 et, d’une certaine mani\u00e8re, d\u00e9mat\u00e9rialis\u00e9 [\u2026] la pand\u00e9mie n’est pas une parenth\u00e8se qui aurait tout arr\u00eat\u00e9. C’est au contraire un formidable \u00a0\u00bbacc\u00e9l\u00e9rateur \u00e0 particules\u00a0\u00bb politiques \u00bb. Et, j’ajoute – pour faire le lien avec la question sur laquelle je travaille depuis longtemps \u2013 que nous vivons vraisemblablement un moment d’acc\u00e9l\u00e9ration d’une nouvelle \u00a0\u00bbbifurcation radicale de l’humanit\u00e9 \u00a0\u00bb, dans ses diff\u00e9rentes dimensions : \u00e9conomiques, environnementales, sociales, politiques, culturelles, intellectuelles, civilisationnelles.<\/p>\n

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Dans une contribution qui devait para\u00eetre sur le site AOC le 29-3-2020 et qui circule sur le net, Bruno Latour proposait que l’on utilise \u00ab ce temps de confinement pour d\u00e9crire chacun pour soi, puis en groupe, ce \u00e0 quoi nous sommes attach\u00e9s, ce dont nous sommes pr\u00eats \u00e0 nous lib\u00e9rer, les cha\u00eenes que nous sommes pr\u00eats \u00e0 reconstituer et celles que par notre comportement nous sommes pr\u00eats \u00e0 rompre. Les globalisateurs, eux, semblent avoir une id\u00e9e tr\u00e8s pr\u00e9cise [ajoute-t-il] de ce qu’ils veulent voir rena\u00eetre : la m\u00eame chose en pire [\u2026] C’est \u00e0 nous de leur imposer un contre-inventaire [\u2026] On imagine assez bien la puissance de transformation de ces nouveaux gestes-barri\u00e8res contre la reprise \u00e0 l’identique \u00bb. De leur c\u00f4t\u00e9, Pierre Dardot et Christian Laval, en droite ligne de Commun. Essai sur la r\u00e9volution au 21\u00e8me si\u00e8cle (\u00e9ditions La D\u00e9couverte, 2014) , plaident, dans Le Monde du 5-5-2020, pour \u00ab une cosmopolitique du commun \u00bb – qui s’opposerait frontalement \u00e0 ce que j’appelle \u00a0\u00bbune chaosmopolitique\u00a0\u00bb capitaliste \u2013 ce qui les conduit \u00e0 se questionner : \u00ab Comment instituer la sant\u00e9 comme commun mondial ? Comment instituer le climat comme commun mondial ? \u00bb. La r\u00e9ponse selon eux \u00ab ne pourra venir que de mouvements sociaux capables d\u2019\u0153uvrer \u00e0 une trans-nationalisation des pratiques, comme ceux des \u00e9cologistes, des f\u00e9ministes, des paysans, des peuples autochtones. La construction des institutions politiques indispensables \u00e0 la survie du monde ne pourra proc\u00e9der que de coalitions citoyennes aux formes diverses \u00bb.<\/p>\n

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Quand certains ouvrent des voies et font des propositions pour que demain ne soit pas, en pire, la m\u00eame chose qu’hier, d’autres comme le com\u00e9dien Vincent Lindon, pensent toujours utile que de \u00a0\u00bbsimples\u00a0\u00bb citoyens s’expriment avec une sensibilis\u00e9 et des mots compr\u00e9hensibles par tous, comme il fait lui-m\u00eame dans M\u00e9diapart, le 6-5-2020 : \u00ab Comment un pays si riche, la France, sixi\u00e8me \u00e9conomie du monde, a-t-il pu d\u00e9sosser ses h\u00f4pitaux jusqu’\u00e0 devoir, pour \u00e9viter l’engorgement des services de r\u00e9animation, se r\u00e9signer \u00e0 se voir accul\u00e9 \u00e0 cette solution, utile certes, mais moyen\u00e2geuse, le confinement ? Nous qui au d\u00e9but des ann\u00e9es 2000, pouvions nous enorgueillir d’avoir le meilleur syst\u00e8me de sant\u00e9 du monde.\u00a0 C’\u00e9tait avant. Avant que s’impose la folle id\u00e9e que la sant\u00e9 devait \u00eatre rentable puisque tout devait \u00eatre marchandise, jusqu’\u00e0 la vie des hommes \u00bb. Presque au m\u00eame moment, Jean Ziegler pr\u00e9voit une solution radicale :\u00a0 \u00ab le choc de cette crise va provoquer la r\u00e9volution [\u2026] Le virus va provoquer la rupture de la conscience ali\u00e9n\u00e9e et d’une mani\u00e8re ou d’une autre, des mouvements populaires vont na\u00eetre et vont abattre ce syst\u00e8me cannibale du capitalisme \u00bb. Sans mieux pr\u00e9ciser ce qu’il convient d’entendre par \u00a0\u00bbr\u00e9volution\u00a0\u00bb, m\u00eame si on comprend qu’elle passera par une d\u00e9sali\u00e9nation des consciences, l’\u00e9mergence de mouvements populaires et la mise \u00e0 mort du syst\u00e8me capitaliste.<\/p>\n

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On peut craindre que face \u00e0 un n\u00e9olib\u00e9ralisme qui vise et r\u00e9ussi \u00e0 faire de nous les complices de ses pires exactions par une habile int\u00e9riorisation de ses normes, une critique sociale sans concession et les meilleurs outils de discernement ne suffisent pas \u00e0 ouvrir les portes d’un avenir radicalement autre et \u00e0 \u00e9clairer les chemins qui y conduisent. Emmanuel Macron a martel\u00e9 le mot de \u00a0\u00bbguerre\u00a0\u00bb pour venir \u00e0 bout du coronavirus et ainsi faire de chacun d’entre nous les soldats d’une arm\u00e9e dont il serait le chef supr\u00eame. L’emploi r\u00e9p\u00e9t\u00e9 de ce mot ne doit rien au hasard. Il fait \u00e9cho \u00e0 l\u00a0\u00bb’union sacr\u00e9e\u00a0\u00bb de toutes les classes sociales lors de la \u00a0\u00bbGrande guerre\u00a0\u00bb, la plus meurtri\u00e8re de notre histoire. Tous unis contre le coronavirus ! Construisons la \u00a0\u00bbvoie sacr\u00e9e\u00a0\u00bb qui, comme lors de la bataille de Verdun, conduira nos fantassins \u00e0 la victoire !\u00a0 (Au prix de lourdes pertes car mal ou insuffisamment \u00e9quip\u00e9s, rappelons-le). Mais cette posture guerri\u00e8re cache autre chose. Elle jette un voile obscurcissant sur la vraie r\u00e9alit\u00e9 et nous pousse \u00e0 un consentement g\u00e9n\u00e9ral \u00e0 reconstruire le monde d’avant avec quelques arrangements de \u00a0\u00bbbon sens\u00a0\u00bb mais au prix de grandes souffrances. Des signes nombreux indiquent qu’il faudra \u00a0\u00bbretrousser les manches\u00a0\u00bb, que la reconstruction ne se fera pas sans aust\u00e9rit\u00e9 ni perte de droits, qu’il faut \u00a0\u00bbsolidairement\u00a0\u00bb s’en convaincre et s’y pr\u00e9parer. En Inde, pour ne citer qu’un seul exemple, certains \u00c9tats de l’union ont d\u00e9j\u00e0 d\u00e9cid\u00e9, en pleine crise sanitaire, de porter la semaine de travail \u00e0 72 heures, de faire fi des lois qui r\u00e9gissent les rapports de travail et d’exempter les entreprises de l’application des droits acquis par les salari\u00e9s. Certains (voir Le Monde abonn\u00e9s du 13-5-2020), consid\u00e8rent \u00e0 juste titre qu’avec le coronavirus \u00ab l’esclavage a fait son retour en Inde\u00a0\u00bb et que l’on revient \u00e0 \u00ab la barbarie du 19\u00e8me si\u00e8cle \u00bb. Le capitalisme pourrait, si nous n’y prenons pas garde et \u00ab quoi qu’il en co\u00fbte \u00bb pour la plan\u00e8te et ses habitants, sortir renforc\u00e9 de la crise sanitaire comme il a pu le faire lors des pr\u00e9c\u00e9dentes crises. Avec, une fois de plus, une subtile sophistique dont l’id\u00e9ologie dominante a le secret et la force de conviction que nous aurons \u00e0 d\u00e9construire et \u00e0 combattre : tout le mal vient d’un virus insaisissable et diabolique et non \u00ab du meilleur des mondes possibles \u00bb (pour le dire avec les mots de Leibniz) ; par cons\u00e9quent, l’humanit\u00e9 enti\u00e8re, des mieux lotis aux plus pauvres, doivent imp\u00e9rativement et solidairement voler \u00e0 son secours.\u00a0<\/p>\n

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Que faire quand tout s’acharne \u00e0 d\u00e9politiser ce qui est un fait de soci\u00e9t\u00e9 que les pouvoirs en place et les grands m\u00e9dias audiovisuels ordonn\u00e9s au march\u00e9 pr\u00e9sentent comme un fait de la nature dont il faudrait, \u00e0 l’image d’une mont\u00e9e brutale des eaux, \u00ab se rendre comme ma\u00eetre et possesseur \u00bb pour reprendre la c\u00e9l\u00e8bre formule de Descartes ? \u00ab Enfourcher le tigre et le dompter \u00bb dit le pr\u00e9sident Macron, alors que le syst\u00e8me de soci\u00e9t\u00e9 et les modes de penser et de vivre qu’il nous impose concourent \u00e0 fragiliser cette m\u00eame nature et \u00e0 compromettre l’avenir de toute vie. Or, c’est bien le capitalisme et non la nature qu’il s’agit de dompter, de terrasser et de d\u00e9passer. Peut-on imaginer des prises de consciences suffisamment fortes et massives, capables de politiser \u2013 c’est \u00e0 dire de ramener \u00e0 la responsabilit\u00e9 des hommes appel\u00e9s \u00e0 en d\u00e9battre \u2013 et de mobiliser les individus contre un syst\u00e8me qui impose, sans discussion possible, ses normes de comportement, de production, de consommation, de communication, de cr\u00e9ation, de penser et de sentir jusqu’au plus intime de chacun ? Tout en sachant \u2013 difficult\u00e9 suppl\u00e9mentaire – que \u00a0\u00bble jour d\u2019apr\u00e8s\u00a0\u00bb, l’urgence sera de se nourrir, d’avoir un emploi, de panser ses plaies, de jouir de la vie, de retrouver ses habitudes et donc – par facilit\u00e9 ou par n\u00e9cessit\u00e9 – de relancer la m\u00eame machine \u00e9conomique sur les m\u00eames rails…<\/p>\n

Le capitalisme enferme chacun d’entre nous dans \u00ab une cage d’acier \u00bb, disait le sociologue allemand, Max Weber, image qui sera souvent reprise, notamment par Michel Foucault et, plus r\u00e9cemment, par Pierre Dardot et Christian Laval. Sa force est de nous rendre complices de cet enfermement\u00a0\u00a0 d’autant plus difficile \u00e0 combattre qu’il rel\u00e8ve de ce que La Bo\u00e9tie appelait, d\u00e9j\u00e0 en son temps, \u00a0\u00bbservitude volontaire\u00a0\u00bb et qui fait de nous des \u00eatres libres d\u2019ob\u00e9ir, titre d’un livre\u00a0 de Chapoutot que je vais m’empresser de lire tant son sous-titre est reversant : histoire du management, du nazisme \u00e0 nos jours. On comprend alors que l’humanit\u00e9 ne pourra se lib\u00e9rer du syst\u00e8me qui l\u2019oppresse sans que chacun puisse se lib\u00e9rer de sa \u00a0\u00bbcage d’acier\u00a0\u00bb. Plusieurs moyens pour y parvenir existent : la critique th\u00e9orique, les mouvements sociaux, la mise en d\u00e9bat public des questions de soci\u00e9t\u00e9, les mani\u00e8res alternatives de produire, de consommer, de faire soci\u00e9t\u00e9 et tout prosa\u00efquement de vivre, la constitution de \u00a0\u00bbcommuns\u00a0\u00bb r\u00e9sistant \u00e0 l’appropriation du march\u00e9… et au contr\u00f4le des \u00c9tats, contr\u00f4le\u00a0 qui peut, si nous n’y prenons pas garde, prendre la forme, comme en Chine, d’une surveillance de tous les instants\u00a0 de tous nos faits et gestes enregistr\u00e9s\u00a0 par reconnaissance faciale et trait\u00e9s informatiquement. Ainsi, l\u2019\u00c9tat \u00a0\u00bbcommuniste\u00a0\u00bb et le parti unique peuvent attribuer ou supprimer \u00e0 chacun, en raison de ses bons ou mauvais comportements, des points constitutifs d’un \u00a0\u00bbcr\u00e9dit social\u00a0\u00bb monnayable en acquisition ou suppression de droits….<\/p>\n

Mais cette r\u00e9sistance \u00e0 l’oppression et cette \u00e9mancipation cr\u00e9atrice de subjectivit\u00e9s agissantes autonomes dans une soci\u00e9t\u00e9 autonome ne seront pas r\u00e9ellement possibles sans des processus de co\u00e9ducation critiques, permanents, d\u00e9mocratiques et politiques dans le droit fil d’une \u00e9ducation populaire riche d’exp\u00e9riences et repens\u00e9e \u00e0 la lumi\u00e8re des enjeux du temps pr\u00e9sent \u2013 que cette co\u00e9ducation soit \u00a0\u00bbspontan\u00e9e\u00a0\u00bb et \u00a0\u00bborganique\u00a0\u00bb au sens o\u00f9 elle fait corps avec les luttes et les mouvements sociaux, \u00e0 l’image du mouvement des \u00a0\u00bbgilets jaunes\u00a0\u00bb, ou bien, et ce n’est pas contradictoire, qu’elle soit le fait d’associations, d’institutions, de f\u00e9d\u00e9rations dites de \u00a0\u00bbjeunesse et d’\u00e9ducation populaire\u00a0\u00bb remplissant ce que j’appelle une mission \u00a0\u00bbprop\u00e9deutique\u00a0\u00bb, c’est \u00e0 dire \u00a0\u00bbpr\u00e9paratoire\u00a0\u00bb \u00e0 des prises de consciences et \u00e0 des engagements d’envergure gr\u00e2ce \u00e0\u00a0 la mise en place de p\u00e9dagogies d\u00e9mocratiques et coop\u00e9ratives : partage et coproduction de savoirs permettant de \u00a0\u00bblire la r\u00e9alit\u00e9 sociale\u00a0\u00bb; d\u00e9bats d’id\u00e9es favorisant l’esprit critique, les opinions \u00e9clair\u00e9es et les prises de position sur les questions touchant \u00e0 la vie locale et \u00e0 la marche du monde ; apprentissages ouvrant sur la cr\u00e9ation sociale, culturelle et artistique ; \u00e9ducation \u00e0 la citoyennet\u00e9 sociale, politique, active et responsable ; formation \u00e0 la prise de parole, \u00e0 l’\u00e9coute, \u00e0 l’analyse, \u00e0 la formulation de propositions, au d\u00e9bat contradictoire et argument\u00e9, \u00e0 la d\u00e9lib\u00e9ration permettant d’agir collectivement et en toute conscience\u00a0 des causes et des cons\u00e9quences… ou tout simplement – mais c’est une priorit\u00e9 – par une \u00e9ducation\u00a0 collective \u00e0 la convivialit\u00e9, \u00e0 l’hospitalit\u00e9 et \u00e0 l’assistance mutuelle.<\/p>\n

Les \u00e9quipements sociaux, socioculturels et d’\u00e9ducation populaire (Foyers ruraux, Maisons des Jeunes et de la Culture, Centres sociaux, Maisons pour tous, Maisons de quartiers…) devraient pouvoir \u00eatre affect\u00e9s prioritairement \u00e0 cette mission de co\u00e9ducation critique, permanente, d\u00e9mocratique et \u00a0\u00bbpolitique\u00a0\u00bb. A condition que leurs b\u00e9n\u00e9voles, administrateurs \u00e9lus, militants et salari\u00e9s soient soutenus express\u00e9ment pour cette mission et ne soient pas soumis \u00e0 la marchandisation lucrative des loisirs et des services de toutes sortes, ni \u00e0 l’instrumentalisation de la part de politiques publiques technocratiques d\u00e9finies en haut lieu (\u00c9tat, minist\u00e8res, institutions et services d\u00e9concentr\u00e9s, collectivit\u00e9s territoriales) qui en font souvent de simples op\u00e9rateurs choisis dans le cadre d’appels d’offre et de march\u00e9s publics les mettant en concurrence au d\u00e9triment de leur projet associatif et de l’implication d\u00e9mocratique des adh\u00e9rents, des usagers et des habitants. La co\u00e9ducation sociale et politique souvent ignor\u00e9e est un enjeu essentiel. L’attitude des pouvoirs publics \u00e0 son \u00e9gard t\u00e9moigne d’un choix de soci\u00e9t\u00e9 : soit celui d’une soci\u00e9t\u00e9 capitaliste n\u00e9olib\u00e9rale o\u00f9 quasiment tout est ordonn\u00e9 au principe universel de la concurrence avec toutes les cons\u00e9quences catastrophiques que nous connaissons ; soit celui d’une soci\u00e9t\u00e9 o\u00f9 priment la mutualisation des comp\u00e9tences au service de \u00a0\u00bbcommuns\u00a0\u00bb dans lesquels des sujets \u00e9mancip\u00e9s et librement engag\u00e9s coop\u00e8rent \u00e0 la satisfaction des besoins et au bien-\u00eatre de tous.<\/p>\n

L’humanit\u00e9 est \u00e0 la crois\u00e9e de chemins. Bifurquer, changer de cap, prendre une nouvelle direction \u2013 peu importe les mots utilis\u00e9s \u2013 ne se fera pas sans transformations radicales de tous ordres et dans tous les domaines, du gouvernement des Hommes et de l’administration des choses jusqu’\u00e0 l’intimit\u00e9 m\u00eame des individus. Incertitudes, convulsions, m\u00e9tamorphoses, d\u00e9chirements pour certains, espoirs d\u00e9mesur\u00e9s pour d’autres, marqueront, \u00e0 n’en pas douter la p\u00e9riode qui s’annonce et dont la pand\u00e9mie du coronavirus nous donne un avant-go\u00fbt. Des zones d’affrontements multiples touchant aux grandes questions de soci\u00e9t\u00e9 et de civilisation (les in\u00e9galit\u00e9s, les rapports Hommes\/Nature, le travail, la production et la consommation, l’utilisation des savoirs scientifiques et des innovations technologiques, les rapports entre les sexes et entre les cultures, l’\u00e9chelle des valeurs, ce que signifie \u00a0\u00bb\u00eatre homme\u00a0\u00bb dans un monde en transformation de plus en plus acc\u00e9l\u00e9r\u00e9e…) dessineront une ligne d’affrontement mouvante d\u00e9termin\u00e9e par une \u00ab guerre de position \u00bb (Gramsci) entre ceux qui consid\u00e8rent, quoi qu’il arrive et quoi qu’il en co\u00fbte, que nous vivons dans le meilleur des mondes possibles, et ceux pour qui continuer dans la m\u00eame direction nous conduit au pire et qu’il est indispensable de changer radicalement de direction. A n’en pas douter, tout devrait se jouer autour de deux principes fondamentaux intimement li\u00e9s qui d\u00e9terminent les rapports entre les hommes depuis la bifurcation du n\u00e9olithique et ce passage progressif des chasseurs-cueilleurs \u00e0 l’agriculture et \u00e0 l’\u00e9levage – bifurcation qui ouvre sur une domestication de plus en plus pr\u00e9gnante de la nature et sur une domination d\u2019une minorit\u00e9 d’hommes sur les autres sous des formes institutionnalis\u00e9es variables selon les moments et les lieux de l’Histoire.<\/p>\n

Ces deux principes fondamentaux qui structurent la soci\u00e9t\u00e9 dans laquelle nous vivons sont la propri\u00e9t\u00e9 et le pouvoir. Nous sommes \u00e0 un moment o\u00f9 la propri\u00e9t\u00e9, qu\u2019elle soit priv\u00e9e ou publique, se voit de plus en plus remise en cause – dans son principe et dans les pratiques auxquelles elle donne lieu – par la cr\u00e9ation et l\u2019institution\u00a0 de ce que l’on peut convenir appeler des \u00a0\u00bbcommuns\u00a0\u00bb, se d\u00e9veloppant dans la plupart des domaines (production\u00a0 et accession\u00a0 aux biens et aux\u00a0 services,\u00a0 partage des savoirs et des savoir-faire, relations \u00e0 l’environnement, mani\u00e8res de se gouverner\u00a0 et\u00a0 d’administrer les choses et les espaces….) et sous\u00a0 des formes variables\u00a0 (coop\u00e9ratives, associations, r\u00e9seaux, collectifs de travail, de cr\u00e9ation, de promotion et de d\u00e9fense, organisations d’assistance mutuelle et d’\u00e9change r\u00e9ciproque….). La crise sanitaire actuelle et ses cons\u00e9quences d\u00e9sastreuses pour l’humanit\u00e9 mettent au-devant de la sc\u00e8ne le \u00a0\u00bbcommun\u00a0\u00bb comme principe de vie en soci\u00e9t\u00e9 et de relation \u00e0 l’environnement. \u00ab Comment instituer la sant\u00e9 comme commun mondial ? Comment instituer le climat comme commun mondial ? \u00bb se demandent Pierre Dardot et Christian Laval (cit\u00e9s plus haut) plaidant ainsi pour une \u00ab cosmopolitique du commun \u00bb qui, \u00e0 n’en pas douter, pourrait remettre radicalement en cause le principe de propri\u00e9t\u00e9 ouvrant sur l’accumulation et la concentration des richesses et sur une concurrence entre les individus, du local au mondial, dans tous les espaces de vie et domaines d’activit\u00e9.<\/p>\n

S’agissant du pouvoir en deux sens diff\u00e9rents : \u00a0\u00bbpouvoir sur\u00a0\u00bb (au sens latin de \u00a0\u00bbpotestas\u00a0\u00bb) et de \u00a0\u00bbpouvoir de\u00a0\u00bb (potentia), il dessine deux configurations oppos\u00e9es du monde et des individus. Dans le capitalisme n\u00e9olib\u00e9ral, comme dans toutes les soci\u00e9t\u00e9s complexes qui l’ont pr\u00e9c\u00e9d\u00e9, le \u00a0\u00bbpouvoir de\u00a0\u00bb d’une minorit\u00e9 accro\u00eet son \u00a0\u00bbpouvoir sur\u00a0\u00bb imposant sa loi \u00e0 une majorit\u00e9. C’est ce que l’on appelle la \u00a0\u00bbdomination\u00a0\u00bb qui dans sa forme extr\u00eame est intangible, totalitaire (la monarchie de droit divin, le nazisme, la Chine de Xi-Jinping…) et globale au sens o\u00f9 elle touche \u00e0 l’enti\u00e8ret\u00e9 des individus. La pand\u00e9mie du coronavirus a ceci de particulier et d’exceptionnel quelle r\u00e9v\u00e8le au grand jour les rouages d’un syst\u00e8me de soci\u00e9t\u00e9 en passe de vider tous les autres de leur sens et de fabriquer un homme \u00e0 son image et avec la puissance et la l\u00e9gitimit\u00e9 quasi divine que lui conf\u00e9rerait une transcendance. Car la question n’est pas qu’\u00e9conomique, sociale ou politique. Elle a une dimension que l’on pourrait qualifier d’ontologique au sens o\u00f9 elle touche \u00e0 l’\u00eatre de l’Homme en tant qu’\u00eatre, \u00e0 son \u00eatre au monde, aux autres et \u00e0 la nature dont il n’est, qu’il le veuille ou non, qu’un mode d’exister parmi d’autres. La \u00a0\u00bbcage de fer\u00a0\u00bb dont chaque individu est appel\u00e9 \u00e0 devenir le prisonnier volontaire (par le management et la pr\u00e9gnance id\u00e9ologique) prend la forme d’une poup\u00e9e russe o\u00f9 toutes les poup\u00e9es qui la composent se ressemblent et s\u2019embo\u00eetent de la plus petite (l’individu) \u00e0 la plus grande (la mondialisation \u00e9conomique lib\u00e9rale) selon un principe unique, la concurrence. Les poup\u00e9es \u00a0\u00bbinterm\u00e9diaires\u00a0\u00bb, les grandes multinationales, les \u00c9tats, les entreprises, les services publics, (nous l’avons vu pour le syst\u00e8me hospitalier) sont \u00e0 l’image de ce qui les domine et les enferme et de ce qu\u2019elles dominent et enferment.<\/p>\n

Voil\u00e0 donc pour ce qu’il en est du syst\u00e8me actuel dans lequel la globalisation marchande nous condamne \u00e0 vivre, certes avec quelques diff\u00e9rences (la situation d’un \u00a0\u00bbcitoyen\u00a0\u00bb(?) chinois n’est \u00e9videmment pas exactement celle d’un citoyen su\u00e9dois ou fran\u00e7ais). Que peut-on opposer \u00e0 ce syst\u00e8me au regard de la question du pouvoir, de ses normes et de ses formes de domination ? Il s’agit, \u00e0 mon sens, de lui opposer ce que l’on pourrait appeler \u00a0\u00bbune puissance individuelle, collective et d\u00e9mocratique de penser et d’agir\u00a0\u00bb et d’en faire une force au service \u00a0\u00bbd’un mouvement r\u00e9el qui [abolirait \u00e0 terme] l’\u00e9tat actuel\u00a0\u00bb (Marx) des choses. Des pistes et modes d’action existent dont certains nous viennent en h\u00e9ritage des profondeurs de l’Histoire : la pens\u00e9e critique visant \u00e0 la d\u00e9construction th\u00e9orique des logiques \u00e0 l\u2019\u0153uvre et la d\u00e9nonciation de l’oppression, les mouvement sociaux sans lesquels les oppressions les plus violentes et les plus barbares auraient condamn\u00e9 la grande masse des individus exploit\u00e9s et opprim\u00e9s \u00e0 la r\u00e9signation et \u00e0 l’acceptation de l’inacceptable, les formes non violentes r\u00e9sistant avec d\u00e9termination aux injonctions et aux manipulations manag\u00e9riales et id\u00e9ologiques, la co\u00e9ducation socio-politique \u00e9mancipatrice \u2026 Mais le plus important est sans aucun doute la cr\u00e9ation et l’institution de \u00a0\u00bbcommuns\u00a0\u00bb r\u00e9sistant \u00e0 l’appropriation du march\u00e9 et au contr\u00f4le des \u00c9tats, et dans lesquels on peut inclure ce que B\u00e9n\u00e9dicte Manier appelle \u00a0\u00bbun million de r\u00e9volutions tranquilles\u00a0\u00bb (\u00e9ditions Les Liens qui Lib\u00e8rent, 2012) qui, dans tous les domaines (agriculture, habitat, sant\u00e9, partage des savoirs, d\u00e9mocratie de proximit\u00e9, protection des \u00e9cosyst\u00e8mes….) et sur tous les continents, \u0153uvrent dans les interstices et les failles d’un syst\u00e8me manifestement de plus en plus impuissant\u00a0 \u00e0 \u00a0\u00bbr\u00e9parer\u00a0\u00bb ce qu’il d\u00e9truit en permanence au nom de la comp\u00e9titivit\u00e9 : l’autonomie alimentaire de grandes masses de populations, l’acc\u00e8s pour tous \u00e0 l’eau potable et \u00e0 une alimentation saine, les \u00e9conomies locales associant, d’une mani\u00e8re coop\u00e9rative, producteurs et consommateurs, un environnement respirable et riche de la diversit\u00e9 des esp\u00e8ces animales et v\u00e9g\u00e9tales, les circuits courts et \u00e9conomes en \u00e9nergie, le minimum de d\u00e9mocratie et de justice sociale, le respect des droits fondamentaux de l’Homme, la diversit\u00e9 culturelle, les rapports sociaux protecteurs de la singularit\u00e9 des individus, l’esp\u00e9rance de lendemains meilleurs dont l’humain serait de centre…<\/p>\n

La crise sanitaire actuelle a confin\u00e9 les corps mais pas n\u00e9cessairement les esprits. Elle a fait na\u00eetre des prises de consciences, des \u00e9changes fructueux et mobilisateurs auxquels le capitalisme mondialis\u00e9 devra faire face. Sans pour autant dessiner avec une totale pr\u00e9cision ce \u00e0 quoi pourrait ressembler d’autres mani\u00e8res de faire soci\u00e9t\u00e9, ces prises de conscience et ces \u00e9changes mobilisateurs laissent entrevoir la possibilit\u00e9 d’un nouvelle communaut\u00e9 humaine universelle de destin, du local au mondial. Cette \u00a0\u00bbid\u00e9e r\u00e9gulatrice\u00a0\u00bb (au sens kantien) s’enracinerait et prendrait corps dans une intelligence collective de mieux en mieux partag\u00e9e de la complexit\u00e9 du monde et de la n\u00e9cessit\u00e9 de le transformer radicalement gr\u00e2ce, notamment, \u00e0 une co\u00e9ducation et une co-appropriation des savoirs et des exp\u00e9riences. Mais elle rel\u00e8verait \u00e9galement \u2013 et ce n’est pas contradictoire – de ce que Castoriadis\u00a0 nomme\u00a0 un \u00ab imaginaire social instituant \u00bb de la soci\u00e9t\u00e9 et des individus qui tiendrait sa force cr\u00e9atrice,\u00a0 de valeurs et de significations nouvelles et alternatives (coop\u00e9ration, entraide, hospitalit\u00e9, convivialit\u00e9, d\u00e9mocratie active et constructive, autonomie individuelle et soci\u00e9tale, respect de l’autre et de l’environnement naturel, juste mesure, autolimitation, frugalit\u00e9…) qui pourraient nous lib\u00e9rer d’un syst\u00e8me socio-\u00e9conomique qui n’a pour objectif que son expansion illimit\u00e9e au seul profit d’une minorit\u00e9 \u2013 syst\u00e8me dans lequel, d\u00e9j\u00e0 dans les ann\u00e9es 1990, Corn\u00e9lius Castoriadis voyait une \u00ab mont\u00e9e de l’insignifiance \u00bb et un \u00ab d\u00e9labrement\u00a0 de l’Occident \u00bb indiquant par l\u00e0 qu’une soci\u00e9t\u00e9 livr\u00e9e \u00e0 l’insignifiance de ce\u00a0 qui constitue son imaginaire social ne peut conduire qu’ \u00e0 un d\u00e9labrement de ses institutions et \u00e0 une perte de rep\u00e8res et d’autonomie de ses individus.<\/p>\n

Le capitalisme n\u00e9olib\u00e9ral ne peut pas et ne doit pas sortir renforc\u00e9 par la crise sanitaire et les cons\u00e9quences sociales qui s’annoncent, pas plus qu’il n’aurait d\u00fb sortir renforc\u00e9 de ses pr\u00e9c\u00e9dentes crises. Comment pourrait-on accepter qu’il apparaisse comme le sauveur de ceux qu’il condamne \u00e0 tous les m\u00e9faits et \u00e0 toutes les souffrances dont il est responsable ? C’est \u00e0 la fois une r\u00e9ponse logique, de bon sens, de morale et d’\u00e9thique. La voie vers un ailleurs est ouverte depuis fort longtemps, vraisemblablement depuis le d\u00e9veloppement de la pens\u00e9e et des exp\u00e9riences novatrices des socialistes utopiques du d\u00e9but du XIX\u00e8me si\u00e8cle (Saint Simon, Fourier, Owen, Cabet, Godin, Buchez…) qui avaient d\u00e9j\u00e0 compris ce que le capitalisme annon\u00e7ait pour ceux qui n’avaient que leur force de travail \u00e0 offrir contre des salaires de mis\u00e8re.<\/p>\n

Mais dire, aujourd’hui encore, que la voie est ouverte ne doit pas nous conduire \u00e0 penser que les chemins sont tout trac\u00e9s et qu’il suffit de se mettre en route. Le parcours qui s’annonce demandera intelligence, volont\u00e9, organisation collective, mobilisation, imagination, invention et exp\u00e9rimentation. On peut m\u00eame dire, avec les mots du po\u00e8te Machado, que \u00a0\u00bble chemin n’existe pas et qu’il se fait en marchant\u00a0\u00bb, chaque pas, petit ou grand, \u00e9clairant le suivant. Les capitalistes et les pouvoirs politiques qui les soutiennent n’abandonneront pas la bataille \u00e0 la premi\u00e8re escarmouche et sous le poids des critiques les plus radicales dont ils sont l’objet. Cependant, le choix de bifurquer radicalement s’impose. Contre toute attente, c’est une crise sanitaire qui cr\u00e9e ce moment opportun \u2013 ce que les grecs appelaient le Kairos \u2013 o\u00f9 les Hommes peuvent forcer les portes de l’Histoire. S’ils ne le faisaient pas, le capitalisme dans sa forme n\u00e9olib\u00e9rale pourrait se convaincre et nous convaincre qu’il est la fin ultime de l’Histoire et que tout lui est permis. Mais pire encore : il y aurait tout \u00e0 craindre que, faute de mener aux moments opportuns les combats qui s’imposent, nous allions \u00e0 la toute fin d’une esp\u00e8ce dont l\u2019intelligence incomparablement sup\u00e9rieure \u00e0 toutes les autres l’aurait conduite \u00e0 une disparition pr\u00e9matur\u00e9e.\u00a0<\/p>\n

Christian MAUREL, sociologue de la culture et de l’\u00e9ducation populaire politique. ancien directeur de Maisons des Jeunes et de la Culture et d\u00e9l\u00e9gu\u00e9 r\u00e9gional de la F\u00e9d\u00e9ration Fran\u00e7aise des MJC, ancien professeur associ\u00e9 \u00e0 l’Universit\u00e9 Aix-Marseille I. Auteur, entre autres, de \u00c9ducation populaire et puissance d’agir. Les processus culturels de l’\u00e9mancipation, \u00e9ditions l’Harmattan, 2010 et de \u00c9ducation populaire et questions de soci\u00e9t\u00e9s. Les dimensions culturelles du changement social, \u00e9ditions Edilivre, 2017.\u00a0<\/p>\n

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