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« Ligne de Front » : errance, tension et rencontre

Artistes engagés et amis de longue date, le musiciens Serge Teyssot Gay (ancien membre du groupe Noir Désir) et le peintre Paul Bloas (récompensé de la victoire de l’artiste pour les 5ième Victoires de la Bretagne en 2018) partageront la scène de notre forum des arts jeudi 13 juin à 20h, le temps d’un spectacle à la forme originale. Intitulée Ligne de Front, cette performance artistique prend la forme d’un dialogue tantôt harmonieux, tantôt houleux entre guitare et pinceaux, où convergent, se confrontent, s’entrechoquent ou s’unissent les imaginaires et sensibilités des deux artistes, tout au long d’une création prenant forme sous les yeux du spectateur, se donnant à voir autant qu’à s’entendre.

« L’humain est au cœur du sujet dans le parcours respectifs de ces deux artiste, leur vibration commune à la marche du monde créera, en une heure d’improvisation sans filet, deux personnages géants peints sur bois. Questions/réponses  toutes en tension, esquisses en arpèges et riffs au fusain, guitare au couteau et pinceaux grondants, leur dialogue électrique noue et dénoue en permanence des fils invisibles. De cette trame en apesanteur où couleurs et sons se répondent, deux géants descendront des murs, comme d’un arbre à palabres, seuls vestiges palpables de cette heure en suspens. » Extrait de la présentation officielle de Ligne de Front.

Bien qu’ils évoluent au sein d’univers artistiques différents, les deux artistes ont l’habitude de travailler ensemble ainsi qu’en témoignent leurs nombreuses créations communes. Dotés de sensibilités artistiques proches, les deux artistes partagent un goût certain pour « la marge », qu’elles concernent les espaces, les hommes ou les arts, de ces marges dont Godard nous rappelait « qu’elle tiennent les pages des livres ».  

 

Esprits libres, par-delà les murs.

Ancien membre du mythique groupe de rock Noir désir, Serge Teyssot-Gay nous relie à ses créations musicales au son et rythmes de ses cordes de guitare, tout comme il aime à relier les univers et les artistes autour de lui.

Tantôt « crissantes » et saturées, tantôt légères ou aériennes, ou encore saccadées et telluriques, les compositions de guitare de Serge Teyssot Gay ont toujours envoûté et hypnotisé leur public en les emportant au sein d’imaginaires audacieux et foisonnants, explorant des espaces d’interstices, à la croisée de genres dont elles abattent les cloisons.

Outre Noir Désir, on se souvient notamment de ses créations au sein des formations « Interzone », et « Zone libre », qui jonglaient habilement avec les registres et genres musicaux, notamment le rock et le rap. Il serait cependant bien maladroit et réducteur de ne retenir que cette partie du travail de Serge Teyssot Gay qui s’illustra tout aussi bien au sein d’une myriade d’autres projets, notamment marqués par la recherche d’autres univers explorant la rencontre et la cherche, voire l’expérimental, avec des musiciens et des artistes issus d’horizons variés. Un goût marqué pour l’expérience, le partage et le métissage qu’il exprime ainsi : « je développe depuis 40 ans un langage musical personnel en renouvelant l’approche de mon travail par des interactions créatives avec d’autres artistes, musiciens, peintres, danseurs, cinéastes. Mes partenaires musiciens depuis dix ans viennent d’horizons variés et d’univers très différents, tant géographiquement qu’artistiquement, comme Khaled Aljaramani, Xie Yugang Joëlle Léandre, Keyvan Chemirani, Carol Robinson, Cyril Bilbeaud, Médéric Collignon, Akosh Szelevényi, Marc Nammour, Hamé, Casey, Mike Ladd,  Kakushin Nishihara, Gaspar Claus, Violaine Lochu, Marie Suzanne De Loye, Rodolphe Burger, Sarah Murcia, Arnaud Dieterlen, Christian Vialard… ». En parallèle de ces réalisations, Serge Teyssot Gay « cultive une passion pour l’indépendance, ainsi qu’il exprime sur le site internet dédié à « Ligne de front » pour laquelle il a fondé [son] label, intervalle Triton, fuyant l’industrie du disque qui a creusé sa propre fosse avec ses dents« . Une normalisation mortifère de toutes audaces et originalités créatives dont nous parle Virginie Desplantes dans sa trilogie « Vernon Subutex »et que dénonce et fuit le guitariste.

Le brestois Paul Bloas qui lui répond sur la scène de « Ligne de front » peint et colle, depuis 1984, des géants aux quatre coins de France et d’ailleurs, avec un goût prononcé pour les espaces en friche, délabrés, décentrés, informels, à la marge en somme. « J’avoue avoir un goût prononcé pour le débris et les «  nulle-parts  », que je tente de magnifier sur sites par le collage de mes colosses aux images d’un phœnix. Mur de Berlin, Prison de Brest, centre-ville de Beyrouth d’après-guerre, ruine d’un camp militaire à Madagascar, épaves marines de Landevennec, quartier populaire de Valparaiso et désert d’Atacama furent, parmi d’autres le théâtre de mes géants et à l’image de ses petites gens qui furent mes modèles* ».  

 

A la croisée d’imaginaires: insuffler la création

Deux artistes, deux amis, deux univers qui se retrouvent et se confrontent sur scène, le long d’une ligne de front qui prête son nom à cette rencontre. La ligne de front, un endroit où se livre bataille ou encore ces rides qui témoignent d’un effort lorsqu’elles apparaissent plissées sur le front de celui qui cherche, réfléchit, souffre ou accouche. Dans tous les cas, elle reflète une tension, celle nécessaire à la création.

Ligne de front, c’est la création entre harmonie et confrontation, le résultat d’une tension entre deux souffles créatifs, deux souffles de vies d’où surgiront finalement deux colosses de papier, fruits d’une gestation artistique prenant la forme d’un voyage, avec ses détours, embûches, errances.

A l’image de ces colosses de papiers sur lesquels semble peser le poids et le cynisme du monde – des Atlas modernes qui se font aussi le reflet des « petites gens »  – c’est dans la contrainte que les deux artistes donneront vie à leurs créations : « Je ne suis pas entièrement satisfait de ce que je fais en atelier. Je trouve beaucoup plus de satisfaction dans l’objet que je crée sous la pression de l’espace, du public, du temps. En prise avec cette tension qu’amène la musique (…) Je traverse plusieurs phases de concentration lors de l’élaboration de ces deux personnages : repli sur soi, rien du tout dans la tête et puis l’objet devient flagrant et on l’achève en trois couches de crayon »*. Et Serge Teyssot Gay de renchérir en évoquant, à propos de cette performance « un travail d’échange extrêmement rapide (…). Improviser une œuvre structurée en un temps limité, devant un public, c’est spécial comme situation. Cette contrainte oblige à progresser, c’est un état où tu n’es pas quand tu travailles chez toi »*.

 

« On va se faire une putain de balade », c’est une invitation au voyage que lancent les artistes à leur public en début de spectacle, écrite sur leur toile.  Entre moment de tensions et d’union, détours et envolées, ce que nous promettent finalement ces créateurs, c’est d’embraquer avec eux le long d’un voyage, d’un périple dont on ne peut prédire les contours, de ce voyage – « Hodos » en grec- ce chemin dont on ne distingue guère le tracé ou les contours et dont Hérodote nous rappelle « qu’on n’en voit le bout qu’à la fin » ou encore « qu’il se fait en marchant ». Il implique l’errance et l’absence d’a priori, l’ouverture et la curiosité, l’appétence pour l’autre, pour l’altérité, pour l’étrange, pour l’ailleurs. Un voyage dont la destination est finalement le parcours lui-même.

Mais si tensions il y a, elle sont aussi entrecoupées de moments harmonieux, où les vibrations des artistes et les ressentis du public résonnent parfois en cœur.

 

Les rencontres du laü, retour aux premières heures :

Prenant d’ordinaire la forme de conférence ou tables rondes, « les Rencontres du Laü » reviennent ici à leur première forme lorsqu’elles passaient par l’art pour nous relier les uns aux autres. Sous l’égide du sensible, cette rencontre  nous amènera à embarquer sur un navire voguant au grès des aspérités émotionnelles, le long d’une traversée entre pinceaux et guitare, qui soude son équipage par le vécu. Au final, c’est un regard que nous porterons sur ce qui nous relie au sein de l’humanité, par-delà murs et frontières, sous la contrainte du monde.

* Propos recueillis par le journaliste Bruno Salaün (Agence France Presse)

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