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L’ORCHESTRE DU DÉSASTRE : retour sur une expérience musicale hors norme

La M.J.C. du Laü s’est récemment fait le théâtre d’une expérience musicale, artistique et surtout humaine exceptionnelle : animé par deux musiciens de renoms,  François Cambuzat et Giana Greco  le grand orchestre du désastre  a réuni de nombreux participants d’horizons très variés (enfant et adulte, musicien ou profane, public handicapé ou non) autour d’un projet aussi audacieux que déjanté : créer en 5 jours un orchestre varié, réunissant voix, percussions et instruments divers, avec en ligne de mire un concert de restitution donné le dernier jour de cette résidence ! Une expérience des plus riches, dont les organisateurs, animateurs et participants nous font ici un retour d’expérience…

 

L’éducation populaire en musique !

Donner une définition précise de « l’éducation populaire » sans réduire cette notion à un seul de ses aspects ou de ses dimensions se révèle souvent un exercice difficile tant cette dernière se montre riche, prenant diverses formes dans ses modalités, ses formes ou ses objectifs, ainsi qu’en témoignait d’ailleurs François Maurel lors de sa conférence à la M.J.C. du Laü. Il est par contre bien plus aisé de reconnaître la marque de cette éducation sur une action donnée ou, en l’occurrence, un atelier musical des plus originaux. Étalé sur une semaine, le grand orchestre du désastre a donné à voir mais surtout à vivre à l’ensemble de ses participants une véritable expérience humaine, artistique et bien-sûr collective qui portait haut et fort les couleurs de l’éducation populaire : développer le pouvoir d’agir des individus et leur créativité, enrichir et épanouir le singulier, l’individu, à travers le pluriel, le collectif, être accessible à tous les profils tout en délivrant une expérience qualitative, épanouissante !

 

Nous vous proposons maintenant de découvrir les témoignages de ceux qui ont participé à cette expérience hors norme : François Cambuzat et Giana Greco, les organisateurs et fondateur de l’orchestre, Eric Kruijtzer l’un des participants et enfin, Lionnel Sébire – Kruijtzer et Sylvain Latry, animateurs d’ateliers musicaux à la M.J.C. du Laü qui ont activement participé à l’animation et l’encadrement de cet atelier musical tout au long de la semaine.

 

François Cambuzat :

« L’orchestre c’est un peu comme la vie en communauté et l’anarchie : c’est-à-dire beaucoup de travail pour créer quelque chose qui marche en reposant sur la liberté de tous, où chacun est responsable de l’autre. On appelle « comprovisation » les morceaux proposés dans le cadre de l’orchestre c’est-à-dire quelque chose de composé dans la tête de celui qui dirige et l’orchestre (qui change très régulièrement) et qui va être traduit par les participants de l’orchestre : une rencontre vivante entre les regards de tous et une création commune. Une expérience de créer quelque chose de sauvagement doux, ou doucement sauvage, quelque chose qui naît à la croisée, sur le terreau de l’inattendu et de la rencontre. On comprend que chaque élément de l’orchestre se fait un vecteur du résultat. C’est ce qui fait que tous les orchestre du désastre sont différents. » 

 

Giana Greco :

« Permettre à des gens qui n’ont jamais eu un contact direct avec la musique si ce n’est en tant qu’audiophile, de découvrir et surtout expérimenter ce lien. Et ainsi de comprendre que dans la musique tout est possible… il y a bien-sûr des lois, des règles mais elles ne sont pas limitantes, on a le droit de tout faire et c’est ce qui rend si formidable cette expérience. Si la méthode de l’orchestre du désastre s’inspire du « sound painting », elle s’en émancipe également dans la mesure où le conducteur ne donne pas de note précise à jouer. Il délivre plutôt une intention : comme une note longue et tenue dans le temps, que l’orchestre va traduire comme il l’entend. C’est ce principe d’interactivité et de co-construction de la musique qui fait le sel de cette expérience. »

 

 Eric Kruijtzer :

« Quand on m’a présenté ce projet, j’ai été intrigué sur ce pari un peu fou : faire jouer des personnes non musiciennes et qui ne se connaissent pas ensemble au sein d’un orchestre, ce n’est pas quelque chose de commun. En vérité, j’ai adopté une posture ouverte, j’avais décidé de me laisser surprendre, de découvrir au jour le jour ce que nous réservait cet atelier. Le moins que l’on puisse dire c’est que je ne m’attendais pas à ça. J’ai été happé dès le premier soir, la proposition m’a beaucoup plu mais surtout amusé au premier abord, un aspect ludique qui me plaisait beaucoup mais derrière lequel se dessine une rigueur déguisée. Si François (Cambuzat, co-animateur de l’atelier, ndlr) parle d’anarchie pour qualifier l’esprit de cet orchestre, j’ai pour ma part été porté par la méthode, finalement très rigoureuse, qui structure le fonctionnement de l’orchestre. Cela m’a accompagné et donné confiance en moi. A mesure qu’avançait l’atelier, une séance après l’autre, j’ai pris un plaisir croissant à m’y investir et finalement ça a été une révélation : j’avais hâte que vienne la prochaine séance !

J’ai particulièrement apprécié endosser le rôle de chef d’orchestre ou « conducteur ». Tu te retrouves face à plein d’instruments avec lesquels tu peux faire tout ce que tu veux, c’est quand même génial et franchement grisant ! Et puis, si j’ai toujours aimé chantonner et faire de la musique (plus jeune je jouais de la guitare avec les copains), cet orchestre m’a ouvert les yeux sur le plaisir que j’éprouve à chanter, j’adore ça et j’ai envie de poursuivre cette pratique dans le temps.

Sur un autre plan, j’ai aussi apprécié participer à cet orchestre avec des personnes en situation de handicap. Cette expérience a tout simplement changé mon regard sur ce public et leur réalité. Je ne dis pas que j’avais des préjugés à leur égard et chaque personne ou handicap étant unique je ne veux pas généraliser, mais à l’issue de cet expérience, j’ai l’impression de mieux comprendre ces personnes ou tout du moins de m’être familiarisé avec eux, de peut-être mieux les comprendre ou les percevoir différemment. C’est quelque chose de précieux. De façon plus générale, l’orchestre m’a offert de faire des rencontres avec des gens d’horizons très différents, ce qui m’a là aussi beaucoup marqué. Participer à cette expérience dans le temps permet de vivre quelque chose de fort ensemble, et on noue des liens ! Je garde d’ailleurs aujourd’hui contact avec certains des participants et tout comme moi, ils comptent bien donner suite à cette expérience, nous verrons de quelle façon. »

Un aspect dont Lionel Sébire – Kruijtzer (animateur auprès des chamois pyrénéens) qui a activement participé à l’encadrement de l’orchestre pour la M.J.C, s’est aussi fait l’écho :

« L’une des choses qui m’a particulièrement marquée, c’est le souci d’inclusivité montré par François et Giana lors de la soirée du concert. Là où beaucoup de monde aurait privilégié le rendu artistique en sélectionnant des participants habiles au poste de conducteur (chef d’orchestre), ils ont au contraire choisi de donner la parole, en les mettant sous les feux de la rampe, aux profils atypiques parmi les participants, notamment des porteurs de handicap. Ainsi, le soir de la représentation finale, la « parole » ou plutôt la conduction de l’orchestre, a été donnée à ceux à qui on la refuse d’ordinaire : un enfant hyperactif, un adulte en situation de handicap mental et une personne aveugle. C’est quelque chose qui m’a beaucoup marqué et que j’ai vraiment appréciée, mais qui a surtout représenté une expérience intense pour ces personnes. Au-delà de ce passage devant le public et ses applaudissements, ces personnes ont fait partie intégrante de l’orchestre et de son collectif qui s’est montré enrichi de sa diversité.

Sur un plan plus technique, j’ai beaucoup puisé dans la méthode suivie par l’orchestre, notamment son approche fondée sur la gestuelle et ses codes pour les adapter à mes ateliers de musique (adressés aux personnes en situation de handicap ndlr). A terme je pense l’utiliser au sein de tous mes groupes de façon à créer un « langage accessible et universel d’un groupe à l’autre, avec lequel se familiariseront tous les participants. »

 

Sylvain Latry (animateur de batucada, au sein de l’association Etoile métisse) :

« La méthode du sound painting n’est pas quelque chose de nouveau, on s’en sert notamment en jazz pour l’impro. Ce que j’ai trouvé intéressant dans cet atelier, c’est la possibilité de compartimenter l’orchestre de façon modulaire, le conducteur pouvant d’adresser à un seul musicien ou une partie de l’orchestre dont il définissait facilement les frontières.

De plus, cette méthode amenait l’orchestre a changer très régulièrement de structure musicale, notamment rythmique. Un changement multiforme perpétuel, qui donnait un style bien particulier au rendu, touchant un registre musical qui rappelle le contemporain, par exemple en s’émancipant des codes habituels de la mélodie. Finalement ce n’est pas tant le résultat musical qui importait mais plutôt la façon dont celui-ci s’écrit, se construit, de façon largement déstructurée.

Une autre « grande force » de l’orchestre du désastre repose sur sa capacité à assoir ses participants dans la chaise du chef d’orchestre, ou conducteur, qu’ils le veulent ou non d’ailleurs. On ne choisit pas d’être chef d’orchestre, on est choisi et on ne peut pas se défiler. La contrepartie c’est que l’on est mis en confiance par l’orchestre, qui se transforme en soutien solide. Pour certains participants, ce passage, c’était un « grand saut ». Ils ont dû surmonter leur timidité, mais justement, ils se sont retrouvé à une place à laquelle il ne seraient jamais allé s’il n’y avaient pas été contraints. Le résultat c’est une expérience unique, très enrichissante humainement qui s’est donnée à vivre à travers le collectif et l’humain : un moment très riche en émotion »

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