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ASSOCIATION ET DISTANCIATION SOCIALE : le défi du vivre ensemble

La crise sanitaire mondiale provoquée par la pandémie du covid 19 a bouleversé en profondeur nos habitudes et contraint les individus à suivre scrupuleusement les fameuses « mesures barrières » pour endiguer la propagation de la contamination, non seulement pour protéger leur propre santé mais aussi celle des autres, en particulier les plus fragiles d’entre nous face au virus.

Ainsi que le partageait Pierre Laval, Président de notre M.J.C. du Laü lors d’une récente réunion du conseil d’administration, la nécessaire « distanciation sociale » qui s’impose aujourd’hui à tous à travers le monde représente dans sa signification littérale l’inverse du terme « association » et par extension des principes du monde associatif fondé sur la socialisation, le vivre ensemble et la proximité. Si notre pays a déjà entamé son processus de déconfinement, il n’en reste pas moins que la prudence reste évidemment de rigueur et que de nombreuses incertitudes obscurcissent une vision sur le long terme. Dans un tel contexte de crise, et de légitime appréhension, comment les associations qui animent au quotidien le Laü ont elles maintenu le lien entre leurs adhérents et poursuivi leur projet en s’adaptant à ces impératifs sanitaires ? C’est ce que nous avons tenté de savoir en enquêtant auprès de certaines d’entre elles qui ont essayé d’apporter des réponses.

 

Laurent KOUASSY : cours de guitare

Pour Laurent KOUASSY, professeur de guitare au Laü mais aussi musicien compositeur coutumier des représentations scéniques, le confinement s’est traduit par une « double peine » : « toutes mes dates de concert ont été annulées, et avec elles leurs cachets. C’est une année catastrophique pour les artistes et les intermittents du spectacle et de manière générale pour le monde de la culture tout court » déplore-t-il. « J’ai cependant la chance de m’être installé un studio d’enregistrement chez moi, ce qui m’a permis de poursuivre des enregistrements et les partager avec mes musiciens. Cela m’a aussi aidé pour les cours avec les élèves. » Alors que le gouvernement annonçait la fermeture des écoles et le début du confinement, Laurent eu l’idée de proposer des cours en visio conférence à ses élèves. « A ma grande surprise, tous mes élèves ont répondu par l’affirmative. Il faut dire que pour les jeunes, l’utilisation de ces outils de communication digitale est tout sauf quelque chose de nouveau, ils sont très à l’aise avec, vu qu’ils les utilisent au quotidien entre eux. Adapter mes cours à cette forme numérique m’a cependant demandé un travail considérable, à plusieurs niveaux : trouver les outils adéquats, les maîtriser, rechercher des ressources en lignes… sans parler des contraintes matérielles comme ma connexion internet qui n’est pas des plus rapides à la campagne. Du côté positif, faire ces recherches m’a aussi permis de repérer des choses que je pourrai ponctuellement réutiliser plus tard, même lorsque le virus sera un mauvais souvenir, comme des tutoriels vidéo très bien réalisés et cohérents avec ma pédagogie. De manière générale je donnais à mes élèves des exercices ou des morceaux à travailler, accompagnés d’enregistrements de ma part, de ressources pédagogiques en ligne (tutoriel, partitions, vidéo live etc… ) et ils m’envoyaient en retour une vidéo de leur travail. Je faisais aussi des sessions en direct, plus vivantes, avec parfois plusieurs élèves connectés, ce qui peut aussi permettre des échanges conviviaux entre eux. » Si tous les élèves de Laurent ont investi ces nouvelles formes de cours en ligne, certains ont cependant quelque peu décrochés sur la longueur là ou d’autres se sont au contraire très investis et ont profité du potentiel de ces outils. C’est vrai que ces outils présentent aussi des avantages méthodologiques, pour peu qu’on s’en saisisse : on peut par exemple faire pause sur un enregistrement, indiqué un temps donné sur la vidéo pour préciser le passage à retravailler ou le doigté à préciser. « J’ai aussi remarqué que les élèves étaient très sollicités numériquement, par l’école, les autres activités, les loisirs etc… »

Si cette adaptation aux nouveaux impératifs induits par la crise sanitaire a permis à Laurent de maintenir le lien avec ses élèves et poursuivre ses cours, il précise tout de même que « tout ne peut pas se passer par vidéo. Un cours de guitare ce n’est pas que de la méthodologie, c’est aussi le plaisir de jouer de la musique avec d’autres personnes, assises à côté de vous ».

 

Claire CHAPEROT : cours de théâtre enfants/ ados/ adultes, compagnie « Les Explorateurs »

Des cours de théâtre sans scène, sans salle, sans même présence collective, impossible selon vous? C’est sans compter sur l’imagination des artistes !

« Le propre de l’art et du théâtre, c’est de faire tomber les barrières » confiait Claire lors de notre entretien téléphonique, une maxime qui résonne plus que jamais dans le contexte actuel, et que la professeure a mise en forme durant le confinement, préfigurant ainsi de potentielles orientations méthodologiques si la situation sanitaire venait à perdurer. « J’ai cherché le moyen de poursuivre les cours de théâtre, avec une démarche « à la carte », adaptée à chacun de mes cours et aux spécificités de son public (enfants, collégiens, lycéens et adultes).

Pour les plus petits, je proposais des exercices légers, mettant à contribution leur expression, imagination et élocution : chaque semaine, ils devaient répondre en vidéo (filmée par les parents avec le téléphone) à une question posée. L’idée était de leur laisser le choix de s’exprimer en leur nom propre, avec leurs pensées, ou dans la peau de leur personnage. La plupart se sont prêtés au jeu bien que j’ai perdu parfois le lien avec ceux d’entre eux qui présentaient le plus de difficultés. C’est la une limite de ce rapport numérique : dans le cadre d’un cours normal, je peux justement accompagner les enfants qui sont le moins à l’aise et leur permettre de profiter de l’inertie du groupe.

Avec les collégiens, j’ai aussi imaginé des exercices à réaliser simplement avec leur entourage, comme par exemple de l’improvisation : au sein de leur famille ils devaient changer de rôle et jouer celui de leur frère, sœur ou parent. Je leur conseillais aussi le visionnage de spectacles adaptés, de textes à lire… Je me suis aussi rendu compte de la grande sollicitation des collégiens sur le plan numérique, entre l’école, les loisirs et le reste de la famille quand il n’y a qu’un ordinateur au sein du foyer.

Les lycéens devaient quant à eux lire et s’approprier le sens d’un texte sélectionné par mes soins : pourquoi écrire un poème ? Pour le chauffeur de taxi, l’agriculteur, la femme de ménage, l’infirmière. Un poème de Cécile COULON. Ils devaient ensuite en apprendre une strophe puis en enregistrer sa lecture, face à la caméra. L’idée était de produire un montage final, avec les visages de chacun, de façon à travailler vers une création artistique commune et partagée, tout comme nous l’aurions fait en temps normal. Cette démarche permet de garder le sens créatif et d’entretenir le plaisir inhérent au théâtre, qui passe forcément par la création collective et sa représentation. J’ai monté et partagé le résultat sur notre page Facebook, ce qui offre aux élèves de voir le fruit de leur travail et interprétation. Je trouve personnellement très émouvante cette vidéo.

Avec les adultes, nous avons surtout maintenu un lien social, bien que numérique, au sein de la troupe. Non seulement car les gens sont attachés les uns aux autres mais aussi car cette dimension est essentielle à tout un chacun : discuter, échanger, rire tout simplement. Je proposais des pièces et spectacles disponibles en ligne à voir et nous en discutions ensemble, par Skype ou par groupe de mails. Là encore il nous faut inventer de nouvelles formes de « télé création » collective et d’échange. Il y a des tas de pistes à explorer et à inventer. Si l’on tourne notre regard chez nos voisins allemands, dont le régime du pays est fédéral et où les associations ont un poids très important politiquement et citoyennement parlant, on observe une grande capacité d’adaptation et un basculement vers le numérique pour de nombreuses activités, dont le théâtre. De la contrainte, si rude soit-elle, naissent aussi de nouvelles idées et pistes de faire ensemble qui recèlent un véritable potentiel pour peu que l’on parvienne à leur donner forme et sens. D’ailleurs, ceux des élèves qui se sont grandement accrochés et investis malgré les contraintes contextuelles, ont véritablement apprécié notre travail que nous avons produit ensemble. »

 

Sophie GAMBA-LAUTIER : Cours de danse contemporaine et d’expression africaine

« M’adapter aux impératifs de distanciations sociales pour maintenir mes cours m’a honnêtement demandé dix fois plus de travail et d’investissement qu’en temps normal, alors même que je suis très familière des outils numériques existants, et notamment des réseaux sociaux que j’utilisais déjà sur une base régulière (quasi hebdomadaire) pour mon activité de danse. »

A la suite des mesures de confinement, Sophie décide de tout mettre en œuvre pour poursuivre ses cours de danses, en recourant massivement aux outils numériques : « j’ai commencé par créer un groupe fermé Facebook, que tous mes élèves ont été invités à rejoindre. Ce groupe a constitué la plateforme à partir de laquelle je dispensais mes cours numériques, pensés et construits sous cette nouvelle forme. Cela m’a demandé beaucoup d’énergie et d’imagination, et j’ai dû fabriquer moi-même bien des outils pédagogiques, comme des tutoriels vidéos que je filmais moi-même avant de les mettre en ligne pour un cours. J’ai dû apprendre par moi-même, sur le tas, à bien filmer, faire attention à la lumière, au cadrage, au son etc… De même j’ai imaginé des exercices spécifiques, à la fois ludiques, accessibles et enrichissants sur le plan technique, comme par exemple un « cadavre exquis » de danse, où l’idée est de poursuivre le mouvement du « voisin numérique » dont il partage la vidéo sur le groupe. Il ne fallait pas non plus négliger l’aspect social de ces cours, et le plaisir de faire avec les autres, d’échanger lors de séances collectives. La solution de facilité aurait été de laisser chacun travailler indépendamment en suivant des instructions préétablies, mais cela aurait été au détriment de la dimension collective de ces cours. Raison pour laquelle nous utilisions des outils de visio-conférence pour travailler en même temps, aux mêmes horaires et surtout se retrouver en direct au contact des autres, même si c’était de derrière nos écrans.

Échauffements, petits exercices de chorégraphie, défis donnés aux élèves via de petits montages vidéo que je réalisais je faisais en sorte de structurer ces cours collectifs en ligne en les rendant aussi riches pédagogiquement parlant que les cours classiques, ce qui encore une fois exigeait de ma part un temps de préparation et un investissement général vraiment conséquent. Et je confesse avoir été parfois découragée ponctuellement, lorsque, par exemple, sur 70 envois de mails je recevais 4 réponses. Je mesure cependant qu’il peut être difficile pour certains de suivre ce modèle numérique, pour des raisons matérielles -tout le monde n’a pas un ordinateur et une connexion internet à sa disposition quand il le veut- ou pour des raisons de temps, surtout lorsqu’on se retrouve en concurrence avec l’école et d’autres sollicitations qui passent par le numériques, forcément nombreuses aujourd’hui. Cela étant dit, j’ai aussi été très touchée par les réactions très enthousiastes et extrêmement reconnaissantes des élèves investis, j’ai eu de très beaux retours. »

 

Maria Rundström : gymnastique

Tout comme ses compagnons associatifs au Laü dont vous avez pu lire les témoignages, Maria Rundstorm a aussi eu recours aux outils numériques pour proposer une continuité de ses cours de gym. « Ce n’est pas réellement nouveau pour moi, j’utilisais déjà ces ressources pédagogiques en temps normal, confesse-t-elle, même si cela restait sur une base accessoire. Je tenais cependant à conserver des cours en « live » ce qui passait donc par un horaire quotidien à respecter pour les concernés : à 10h tous les jours, nous nous retrouvions via WhatsApp et je dispensais mon cours en visio. J’utilisais aussi d’autres ressources en ligne comme des vidéos tutoriels que je sélectionnais en avance et qui étaient très bien faites, pour travailler un mouvement en particulier par exemple. Pour remplacer les instruments que l’on utilisait dans la salle de danse, j’invitais les participants à se servir d’objets de tous les jours, comme une chaise par exemple qui peut très bien faire office de barre d’appui. »

Une méthode qu’elle adapte aujourd’hui aux cours non numériques, qui reprennent avec beaucoup de précautions, sur le fronton du Laü.

Avec les beaux jours qui reviennent et le déconfinement, le Laü a en effet aménagé cet espace extérieur, devant son fronton, avec des tapis où sont délimités avec du scotch les espaces de sûreté pour chaque participants, ce qui permet à certaines activités comme la gym et certaines danses de proposer à nouveaux des séances en collectif réduits de 10 personnes, comme nous pouvons le voir sur cette vidéo de Sophie :

 

Maria invite de son côté chaque participant à apporter sa propre chaise individuelle de façon à éviter les risques de contamination tout en permettant aux élèves de s’exercer avec cette « barre d’appui portable ». « Loin d’appréhender, le public est vraiment enthousiaste à l’idée de reprendre ces cours, les gens ont vraiment besoin de se retrouver après tout ce temps passé enfermés chez eux, c’est vraiment perceptible. Et si la situation exige bien évidemment une grande rigueur dans la pratique et le protocole, ce qui est fait c’est une véritable source de réconfort que nous leur offrons, pour le plaisir de tous ! »

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