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LES PORTRAITS DU LAÜ : José Sanchez, l’oreille au cœur

 

José SANCHEZ ne parvient jamais à s’asseoir. Au-delà de la boutade dont votre serviteur vous laisse méditer la grande finesse, cette assertion n’en demeure pas moins vrai au sens métaphorique: Aujourd’hui à la retraite, José s’est toujours incroyablement investi bénévolement, au sein de l’association des Chamois Pyrénéens, une association qui propose des séjours et des animations au personnes en situation d’handicap. Un parcours matérialisé par sa plus grande réussite : l’atelier de musique des Chamois, un orchestre animé par des musiciens déficients mentaux et encadré par des musiciens professionnels. Non content d’offrir à ses participants une porte vers le plaisir de la musique et de son partage, l’orchestre est aussi très apprécié du public devant lequel il se produit.

C’est au sein du Laü et de son forum des arts qu’a pris forme en 1977 cet incroyable projet au long cours, qui poursuit aujourd’hui sa route avec brio, certains de ses musiciens étant présents depuis ces débuts, d’autres l’ayant rejoint en cours de route. Aujourd’hui à la retraite, José SANCHEZ revient avec nous sur son parcours bénévole et la création de cet incroyable atelier dont il a récemment légué la baguette de chef d’orchestre.

 

La naissance d’un projet au long cours

José n’a que 20 ans lorsque lui vient l’idée de ce qui deviendra « l’atelier musical des Chamois ». « A 18 ans je cherchais un moyen d’occuper mes week-ends où je m’ennuyais souvent. J’ai rejoint un ami, sur ses conseils, au sein des Chamois Pyrénéens, une association qui propose des séjours et animations de loisirs aux déficients mentaux. Lors d’un concert où nous avions amené nos jeunes, ces derniers avaient essayé de monter sur scène pendant la représentation, tout simplement car ils éprouvaient l’engouement de la musique. Ils s’étaient alors vus gentiment éconduire par leurs tuteurs et animateurs qui ne voulaient pas troubler la représentation ou gêner l’assistance. C’est en partant de cette observation que j’ai imaginé un atelier de musique spécialement pensé pour ce public, avec un cadre où il pourrait non seulement goûter au plaisir de la musique en groupe, mais aussi à celui de la scène. Je n’avais cependant pas idée de l’envergure que prendrait cette initiative, je n’imaginais pas une telle suite, confie-t-il en riant ! Moi-même amateur de musique, je me souviens avoir eu cette réflexion : si je parviens à éprouver un véritable plaisir sur ma guitare avec seulement une douzaine d’accords dans ma besace, alors pourquoi pas eux?

 

Un atelier aux méthodes empiriques

« C’est en essayant, en expérimentant et parfois en se trompant que l’on apprend et s’améliore » explique José qui, depuis qu’il offrit les premières séances de l’atelier, n’a cessé d’en améliorer les méthodes et les outils.

Lorsqu’on me permit alors d’essayer de monter cet atelier, en 1977, il était alors composé de deux musiciens amateurs et moi-même. Mais j’ai compris assez vite que l’une des clefs de sa réussite reposait sur la régularité : qu’elle concerne les participants ou leurs encadrants. On n’est donc passé de musiciens encadrants amateurs présents quand ils le pouvaient à des professionnels investis sur la durée dans ce travail avec nos participants. De même, l’idée était aussi de favoriser l’investissement sur le temps long de la part de notre public des Chamois.

Très vite nous nous sommes heurtés à des difficultés dont il a fallu imaginer les réponses adéquates. Certains participants faisaient preuve d’un grand sens du rythme, là où d’autres ne parvenaient pas à en assimiler le ressenti. On ne pouvait évidemment pas évincer ces derniers, ce qui n’aurait de toute façon fait aucun sens : bien que nous nous efforçons de produire la musique la plus juste, le but de l’atelier repose avant tout sur son caractère accessible et ouvert à notre public et donc sur sa capacité d’intégration. Il fallait donc trouver des outils pour intégrer tout le monde malgré tout, sans pour autant devenir une cacophonie. Nous avons donc utilisé les instruments de percussion comme les tambourins.

 

L’adaptation, clef de voûte pédagogique des Chamois

Si aucun critère de technicité n’est demandé aux participants, l’activité ne doit cependant pas être appréhendée comme un prétexte pour sortir ces personnes des foyers où elles résident et sont prises en charge. « Notre moteur, c’est le plaisir », rappelle José. L’atelier demande un investissement régulier (hebdomadaire), les participants doivent donc en avoir envie tout simplement. Certains ne sont pas capables de tenir un instrument ou une musique, mais à partir du moment où ils ont envie d’être là, ils ont leur place sur scène, même s’ils ne feront qu’agiter les mains en même temps que moi.

Pour rendre accessible le travail en répétition, José a travaillé des approches adaptées à ce public, qu’il a affinées au fil des ans : « C’est à nous de nous adapter aux participants des Chamois et non l’inverse ! C’est là que repose tout le sens de notre démarche explique José. » On simplifie la musique sur certains passages, et utilisons quelques artifices pour dépasser les difficultés. C’est un équilibre à trouver pour au final tisser une tapisserie des capacités les meilleures de ces musiciens, leur permettre de progresser et de donner à entendre le meilleur d’eux-mêmes. « L’idée est de découper les morceaux en petites unités musicales travaillées séparément. C’est un « patchwork » que l’on relie à la fin et qui fait sens pour les participants. Nous travaillons à « l’oreille » et choisissons un répertoire où les percussions sont présentes, car ce corps d’orchestre est très accessible. On se sert aussi des tambourins pour couvrir le son de ceux qui ont le plus de mal à tenir un rythme. Les participants suivent mes mimes : grossièrement il y a quatre positions de mes mains qui correspondent à une indication, c’est un code avec lequel ils se sont familiarisés et qu’ils peuvent suivre aisément d’un morceau à l’autre. »

L’une des principales difficultés à surmonter réside dans l’hétérogénéité du groupe et de ses handicaps. « Bien que nos participants soient âgés de 20 à 64 ans, leur âge mental varie entre 3, 7 ou 10 ans, il faut donc encore une fois s’adapter différemment avec chacun. Cela passe par exemple par la mise en place d’une série de gestes simples, net et précis de notre part, afin d’instaurer un langage clair qu’ils comprennent et assimilent avec le temps.

 

Ritualisation de la préparation, familiarisation et investissement de l’espace

 

Créer un cadre rassurant et familier est un prérequis essentiel au travail musical, et cela passe par la mise en place d’automatismes, de gestes répétés pour créer des habitudes rassurantes, comme par exemple la mise en place de la salle. A ce titre, pouvoir bénéficier depuis toujours de cette même salle au Laü, le Forum des Arts, a permis aux participants de se sentir chez eux, comme une deuxième maison à laquelle ils restent très attachés et qui octroie ainsi un cadre rassurant également. En outre, cette salle est vraiment superbe dans ce qu’elle nous offre, de l’espace, une convivialité et une praticité. Ces temps de préparation technique (installation des câbles et micros, de la salle, mise en route de la sono, etc) apporte beaucoup de fierté aux participants, c’est aussi un moyen de combattre le trac avant un concert, explique José. Cette vie de groupe est finalement le pilier de notre action, c’est ce qui apporte le plus aux participants.

Lorsqu’un participant se retrouve pour la première fois face au micro, son premier réflexe sera souvent de dire des bêtises ou de s’amuser avec l’outil. C’est très intéressant d’observer le changement après quelques séances où se donne à voir un profond respect du micro et de ce qu’il permet de produire avec le groupe. Encore une fois ce changement de comportement dénote les bénéfices de la régularité de participation mais aussi de l’affectivité éprouvée par les membres de l’atelier vis à vis de l’orchestre et des sentiments qu’il leur prodigue.

 

Le groupe, le meilleur des outils pédagogiques

Paradoxalement, je me suis rendu compte au fil des ateliers qu’il était bien plus facile de gérer un orchestre de 40 qu’un groupe de 8, grâce à la force du groupe, une inertie qui emporte les nouveaux dans le rythme ! Finalement, le meilleur outil pédagogique développé au fil des ans, c’est bien le groupe lui-même et sa capacité à intégrer les nouveaux venus dans sa dynamique. La musique elle-même et le plaisir infini qu’elle offre à ceux qui la produise ensemble et la partage est un incroyable liant sensitif et affectif qui soude l’orchestre et donne sa force à son unité.

Des outils éprouvés au fil du temps que José s’est efforcé de transmettre aux équipes d’encadrants, en particuliers les nouveaux venus. Certaines choses ne s’apprennent que sur le tas, mais il est important aussi de comprendre la nature des outils mis en place au fil du temps et de profiter d’une expérience acquise sur le long terme avec ce public. J’ai essayé beaucoup de choses et avec l’expérience, on sait ce qui marche et ce qui risque d’être plus difficile à mettre en place.

 

Les Chamois sous les feux de la rampe !

 

« Rétrospectivement, je me rends compte du chemin parcouru et de ce que cette expérience incroyablement riche nous a apporté. Au-delà de la fonction de l’atelier et de ce qu’il offre à ses participants, on mesure aussi à quel point il touche le public. Et je ne parle pas du fait qu’on pourrait reconnaître et être touché par la performance musicale d’un orchestre composé de musiciens en situation de handicap mental. Même si c’est le cas, cela va bien plus loin que l’adhésion du public : lors des représentations, ce dernier est sincèrement touché et emporté par la musique elle-même, il faut gagner son oreille. »

Les Chamois ont donné de nombreuses représentations depuis leur création : concert place Royale à Pau ou sur la place de Clémenceau où les applaudissements n’ont pas tari alors même que le public était loin d’être acquis. Ils comptent parmi les plus beaux souvenirs de José, tout comme la tournée de trois jours effectuée dans de petits villages en Espagne dans le cadre d’un échange culturel et le passage dans une émission diffusée sur France 2 où l’on pouvait voir François Bayrou féliciter avec émotion l’orchestre pour sa prestation.  » L’expérience scénique représente un formidable vecteur d’accomplissement pour l’orchestre. Au-delà du plaisir de jouer ensemble, c’est aussi celui de partager, donner à voir et à entendre leur performance qui s’offre aux musiciens des Chamois et c’est quand même le sens de la musique. L’intégration de musiciens professionnels dans l’encadrement des Chamois nous a grandement aidé dans cet accomplissement : Laurent KOUASSY (professeur de guitare au Laü qui a longuement travaillé au sein des Chamois NDLR) nous a amené son expérience de la scène, étant lui-même très familier des représentations via ses autres formations musicales. Il en va de même pour Phillippe CROS et Julien BOUILLERE, eux aussi habitués de cet espace scénique. Cette expérience s’est grandement donnée à voir au sein de l’orchestre durant les préparations de représentation et nous a permis de travailler sereinement vers cet objectif. »

 

Récemment, José a passé le flambeau, ou plutôt la baguette du chef d’orchestre des Chamois à Maria OLIETE. « J’ai été ravi de voir avec quelle aisance elle a pris ses marques mais aussi de constater la rapidité avec laquelle elle a été acceptée au sein du groupe, confie José avec enthousiasme. S’il est vrai que nous pouvons rencontrer quelques soucis, notamment au niveau des subventions sur ce projet, je quitte cette aventure serein (tout en prenant plaisir à m’inviter de temps en temps aux répétitions). Encore une fois la force de cet orchestre réside avant tout en lui-même avec tout ce qu’il a appris, vécu et partagé depuis sa création, et tout ce qu’il continuera à offrir dans le futur à tous ceux qui rejoigne ce projet. Personnellement cette expérience m’a toujours empli le cœur car on reçoit autant que l’on donne. En tant que chef d’orchestre, j’ai été placé à la croisée des émotions, notamment lors des représentations où je percevais avec la même intensité les ressentis du public et des musiciens, on se retrouve alors comblé. Un pont, une jonction un partage qui abat tous les murs. »

 

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